Société
Déprime post-mondial: c’est grave docteur?
23/12/2022 - 13:18
Khaoula BenhaddouDepuis plusieurs semaines, les supporters ont vécu sur le rythme du Mondial. Après avoir suivi les matchs de la compétition sportive, vibrer, encourager, pleurer, crier et suivre les qualifications de leurs équipes favorites, des fans du ballon rond trouvent du mal à reprendre le cours normal de leur vie, certains parlent même d’une «dépression» post-mondial !
Quelques jours seulement après la fin du mondial Qatar 2022, certains supporters ont du mal à reprendre leur train de vie. Plusieurs internautes ont exprimé leur tristesse après la fin de cette compétition sportive.
"On a vécu au rythme du mondial pendant plusieurs jours. Cette dépendance s’est accentuée à chaque fois que l’équipe nationale gagnait…après la fin de la compétition, je ressens une grande solitude. Je ne sais pas comment remplir ce vide" ,s’exprime Khalid sur sa page Facebook.
Même son de cloche auprès de Lamia, femme au foyer. "Je n’ai jamais regardé un match de football, mais cette année, j’ai pratiquement suivi toutes les étapes du mondial grâce à l’exploit de notre sélection. Je trouvais du plaisir à préparer des repas et de recevoir mes proches pour suivre le match ensemble. On a rigolé, pleuré et fêté la réalisation des hommes de Walid Regragui, c’est devenu comme une addiction familiale. J’aurai souhaité que cette expérience dure dans le temps, je déprime à l’idée de ne plus suivre l’équipe nationale et leurs magnifiques réalisations", a-t-elle lancé.
Addiction, dépression et déception sont entre autres des termes utilisés par les internautes après la fin du mondial et l’élimination de l’équipe nationale.
Des sentiments qui sont justifiées, selon la psychologue Rim Akrache. "L’émotion est typiquement une réaction de l’organisme à un événement extérieur comme la victoire ou la défaite au mondial, avec des manifestations physiologiques et comportementales. C’est donc normal de ressentir l’euphorie, la joie, ou à l’inverse la colère surtout que les plus grandes émotions sont déclenchées dans un contexte d’interactions sociales. Naturellement, le mondial est donc le parfait déclencheur et le parfait exutoire de toutes ces émotions du fait des interactions et des élans patriotiques un peu partout dans le monde. Lorsqu’elles sont plus durables dans le temps, on parle alors de sentiments, de la solidarité, de l’espoir, lorsqu’il s’agit d’émotions positives, ou à l’inverse la frustration, ou la déprime", a expliqué Akrache.
Dépression ou déprime
Pour Rim Akrache, difficile de parler de dépression dans cette situation. "La dépression est un trouble mental sérieux, qui n’est pas vraiment lié à un événement. D’ailleurs, les symptômes dépressifs doivent durer plus de deux semaines pour qu’on puisse parler de dépression. C’est vrai qu’il y a beaucoup de réactions, qu’on pourrait décrire comme une déprime", a tenu à préciser la psychologue, avant d’ajouter: "j’ai reçu des plaintes sur des ruminations (je n’arrive toujours pas à passer à autre chose), d’autres personnes aussi par rapport à cette ambiance ou au sentiment d’appartenance qui risquent de leur manquer. Mais il me semble que cela doit être déjà lié à une intolérance à la frustration déjà présente chez la personne, et très lié à l’intelligence émotionnelle de tout un chacun. Il s’agit d’assimiler les émotions, les verbaliser, ne pas les étouffer, pour pouvoir mieux les gérer".
Le psychanalyste Mohamed Baghdadi, lui, rappelle l’ascenseur émotionnel qu’ont vécu les supporters tout au long du mondial. "Depuis le début du mondial, nous avons vécu des moments inoubliables marqués par l’ascension de l’équipe nationale. Nous avons suivi avec beaucoup de fierté leur réalisation, on y a cru et on était sûr qu’ils allaient passer au final. Le rêve s’est arrêté brusquement en demi final et on a été réveillé brutalement, c’est comme un château de sable qui s’est écroulé. Ce sentiment a impacté toute la population et plus particulièrement les personnes sensibles", a-t-il analysé avant de poursuivre: "l’impact de cette déception est différent d’une personne à une autre. Les citoyens qui ont des activités régulières et un emploi du temps chargé reviendront à leurs trains de vie et ne sentiront pas de différence, mais ceux qui n’ont pas réussi leur vie professionnelle et qui se sont identifiés à la victoire de l’équipe nationale auront du mal à se réveiller de ce rêve. Ils ont plongé dans une illusion et ont cru que la victoire de l’équipe était la leur et donc ils auront du mal à revenir à leur situation initiale".
Comment sortir de cette situation?
Rim Akrach, la psychologue, invite les citoyens à verbaliser leurs émotions. "Comme chaque situation sociale, qu’il s’agisse du mondial ou pas, se confronter aux émotions et savoir les réguler constitue un défi, qui est intimement liée à l’expression. On pourrait recommander de verbaliser les émotions, ne pas les éviter, et ne pas arrêter les sorties ou les rituels d’avant pour continuer à bénéficier du même soutien social et préserver l’élan de solidarité que l’on a observé. Beaucoup de personnes ont aussi sublimé ce vécu à travers l’art, la créativité. On a vu de très belles vidéos et très beaux textes à ce sujet !", commente Akrach.
Pour sa part, le psychanalyste Mohamed El Baghdadi invite à accompagner psychologiquement les supporters mais aussi l’équipe nationale. "On a souvent l’habitude de dénigrer le volet psychologique. Je pense que pour dépasser cette période, les supporters et les joueurs ont besoin d’un accompagnement psychique parce qu’ils ont vécu des moments de joie, de gloire mais aussi de déception et de tristesse", recommande-t-il. Il ajoute aussi que "les médias ont également un rôle important à jouer. Il faut désensibiliser les citoyens pour les aider à retourner à leur vie normale. Il faut clôturer cet événement d’une manière intelligente et lucide pour aider les citoyens à reprendre le cours normal de leurs vies", conclut le spécialiste.
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