Société
La tâarija marocaine, un patrimoine culturel transmis à travers le temps
19/08/2021 - 10:21
Aïcha DebouzaC’est l’instrument privilégié des cheikhat. Un petit pot en terre cuite tendu et recouvert d’une peau de mouton à l’une de ses deux extrémités. La tâarija ou la "boiteuse" est appelée ainsi car elle casse le rythme. C’est un instrument de percussion apparenté au tambour ou encore à la darbouka et fait partie des membranophones. "La tâarija est même la base de l’échelle musicale marocaine. C’est elle qui rythme les poèmes chantés par les cheikhat", explique Hassan Nejmi, historien et poète marocain. Ayant fait sa thèse sur l’Aïta "Le chant al-Aita, poésie orale et musique traditionnelle au Maroc", ce dernier ajoute que la tâarija est bien plus importante que n’importe quel autre instrument marocain tel que "lbendir".
Issu du terroir, cet instrument donne divers rythmes aux chansons marocaines. En fonction de sa taille ou du rythme voulu, la tâarija fait la liaison "Arrabt" entre différents morceaux du même poème. C’est elle qui ralentit le rythme- communément appelé "Boujnah"- ou encore l’accélère et est donc appelé "Srisba". "Sa taille n’est pas sans sens. Elle dépendra de l’utilité de la tâarija pour tout ce qui est ton, bruitage ou encore gamme musicale", précise Hassan Nejmi. En effet, les cheikhat, Hmadcha, le melhoun, et tant d’autres genres de musique traditionnelle marocaine utilisent le même instrument mais avec des tailles diverses car le son qu’il émet est différent à chaque fois.
Un instrument qui provient de la campagne
La question de l’origine de la tâarija comme celle d’ailleurs des instruments de musique en général demeure un mystère et matière à nombreuses spéculations. "Il n’y a malheureusement pas d’histoire écrite qui remonte à l’origine de cet instrument. Toute l’histoire que nous connaissons nous a été transmise oralement", explique l’historien. Il n’existe effectivement pas de témoignage plus ancien que ceux de la tradition orale ainsi que les récits des mémoires vivantes. Bien que marginalisée à cause de son aspect particulier, la littérature orale marocaine en dit beaucoup sur le sujet. "Les récits racontent que la tâarija a vu le jour dans les plaines bordant l’océan atlantique telles que Chiadma, Asfi, Doukkala, etc. C’est là où est née l’Aïta qui est un chant campagnard étroitement lié à cet instrument."
Fruit de la culture campagnarde du XIXème siècle, cet instrument de percussion provient de la terre (ou la boue) et de la peau d’animal: deux matières que la nature offrait aux modestes paysans de l’époque. Si chaque civilisation crée ses propres instruments de musique adaptés à ses rythmes de vie, le musicien marocain ne se servait pas uniquement des trésors que lui procurait la terre mais aussi de ses outils de travail. Le "Mkess" ou paire de ciseaux par exemple, est un instrument de musique rythmique qui avait pour origine de tondre la laine des moutons.
Un apprentissage à travers le corps
"Aucune cheikha ne peut exercer ce métier sans savoir maîtriser une tâarija. Apprendre à manipuler cet instrument est d’ailleurs la première étape par laquelle doit passer toute apprentie cheikha", détaille Hassan Nejmi. Il explique que pour devenir cheikha, l’apprentie devait d’abord se mettre pieds nus à côté de la cheikha "rebâa", la poétesse la plus respectée de toutes. Elle aussi sans souliers, la cheikha rebâa pose ses pieds sur ceux de l’apprentie et installe entre les deux, la petite tâarija qu’elle remplit de laine de mouton. Le but étant d’«assourdir» le son émis par cet instrument et de le transformer en une vibration.
L’apprentissage se fait donc non seulement par l’ouïe mais surtout par un langage corporel. C’est une sorte de recours à des techniques d’analyse du mouvement dans lesquelles les cheikhat semblaient chercher à reconquérir leurs sensations physiques, à développer ou accroître une conscience corporelle trop négligée. Nombre de chercheurs et de pédagogues ont été intéressés par la dimension du corps dans l’apprentissage de la musique. La prise en compte de ce dernier dans la relation pédagogique a évolué au cours de l’histoire mais a depuis toujours existé dans notre patrimoine culturel, "j’irai jusqu’à dire qu’elle fait partie de notre identité", conclut le poète marocain.
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