Société
L'enseignement "hybride", menace ou opportunité ?
22/01/2021 - 16:33
Imane Benichou«Je crois pouvoir vous le dire aujourd’hui. Selon le bilan préliminaire que nous avons reçu des professeurs et des inspecteurs, l’enseignement par rotation [fusion entre présentiel et à distance, avec permutation des groupes d'élèves, ndlr], a réussi à 100%», a clamé le ministre de l'Education nationale Said Amzazi, lors d’une allocution, mardi 19 janvier 2021, devant les députés membres de la commission parlementaire permanente chargée de l’enseignement, de la culture et de la communication à la Chambre des représentants.
A distance encore et encore
Le ministre a alors révélé devant les élus son souhait de conserver ce modèle nouveau d’enseignement après la fin de l'état d'urgence sanitaire tout en nuançant qu’il s’agit bien "d’un plan pédagogique encore à l'étude". «Le premier bilan est rassurant, il y a une grande satisfaction de l’enseignement par rotation, entre présentiel et auto-enseignement encadré par l'enseignant à domicile. Avec un nombre de 20 élèves en classe, le niveau d’apprentissage des élèves est mieux et leurs notes se sont améliorées», s’est félicité M. Amzazi.
Adoptée en mars 2020 au plus fort de la crise sanitaire en Europe, l'opération d’enseignement à distance a été lancée via le portail électronique TelmidTice et sur la chaîne de télévision Athaqafia pour les familles ne disposant pas d'ordinateur et n'ayant pas accès à internet. Au début de l’année scolaire 2020-2021, l’enseignement dit "hybride" a été adopté. Des groupes réduits d’élèves peuvent étudier en présentiel pour quelques jours de la semaine. Tandis que pour le reste des jours, les cours restent à distance.
Ce dispositif nouveau devrait permettre, selon le ministre, de remettre sur les rails le programme de réduction du nombre d’élèves par classe. Ledit programme a été mis en place pour mettre fin à la problématique de l’encombrement de l'école publique. A cet effet, le ministre vise à réduire de 40 à 30, à-peu-près, le nombre d'élèves en classe.
Levée de boucliers
Un discours mal perçu par les syndicats qui y voient, du «marketing politique». Un discours «loin de toute réalité éducative et pédagogique», rétorque Khadija Bekkay, enseignante et membre de la Coordination nationale des enseignants contractuels, contactée par SNRT News. Pour elle, le projet de rotation était un projet d'urgence en raison des conditions sanitaires actuelles. «C'était une solution provisoire et non permanente», insiste-t-elle.
Ce format d’enseignement, dont se targue le ministre, souffre selon les enseignants, de plusieurs problèmes constatés sur le terrain. « Certes, le nombre des élèves est limité à vingt. Toutefois, nous ne sommes pas toujours en contacte avec eux. A un moment ou à un autre, l'élève est perdu », souligne Bekkay qui précise que les enseignants ont constaté un recul du niveau des élèves après le confinement. «Les notes sont modestes et reflètent la réalité de l'élève. Le niveau est médiocre et faible. Il y a aussi des parents, au niveau modeste, qui ne peuvent pas suivre les cours avec leurs enfants à distance», soulève-t-elle.
Interrogé sur le projet du ministériel d'institutionnaliser l'enseignement "hybride", le président de la Fédération nationale des associations des parents d’élève au Maroc (FNAPEM), Noureddine Akkouri, ne mâche pas ses mots : «C'est inacceptable de continuer ainsi après la crise du Covid. La situation actuelle, imposée par la pandémie pour des raisons sanitaires, a aggravé les inégalités». «Plusieurs familles se plaignent que leurs enfants n’ont pas pu suivre le rythme de l'enseignement à distance. Ils étudient uniquement en présentiel, soit la moitié de la semaine», affirme-t-il.
Le président de la FNAPEM tire la sonnette d’alarme sur le risque du décrochage ou de l’abandon scolaire. « Il y a des élèves en situation socio-économique défavorisée qui se sont absentés de l'école. Ils sont censés étudier à distance, mais il n'y a pas eu de suivi et on ne sait pas s'ils étudient vraiment à distance ou s’il s’agit de cas d’abandon scolaire », dit-il.
Noureddine a souligné que la Fédération a effectivement appelé à l'enseignement à distance, après la pandémie, "mais sous une forme différente", soit un enseignement en présentiel mais "soutenue par des cours à distance". « Certains élèves ont besoin de l'auto-apprentissage pour bien développer leurs connaissances », explique-t-il. « Un format qui luttera contre le phénomène des cours supplémentaires qui s’est accru considérablement en raison de l’actuel format d’enseignement hybride ».
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