Politique
Charité et politique, une problématique qui persiste
22/04/2021 - 21:34
Ghita IsmailiAu Maroc, comme ailleurs dans le monde musulman, le ramadan connaît très souvent une grande mobilisation de la société civile au profit des plus nécessiteux. Au milieu de cet élan de solidarité, on retrouve cette année plusieurs associations à tendance politique qui en profitent pour faire de la charité. D’autant plus qu’il reste moins de cinq mois au prochain scrutin législatif. Une manière de tenter d’influencer le choix des éventuels électeurs en situation de vulnérabilité ?
Si le sujet fait actuellement beaucoup de bruit au Maroc, selon Mohamed Chakir, politologue et universitaire, cette pratique n’est pas nouvelle. C’est même "une pratique enracinée dans l’histoire du Maroc. Les sultans le faisaient pour justifier leur légitimité et les Zawaya (confréries religieuses) pour attirer de nouveaux adeptes", explique-t-il.
"3am lboun"
"Pendant les années de famine ou de sècheresse, les forces politiques bataillaient pour donner des aides alimentaires aux personnes qui sont dans le besoin. Cette politique a continué d’être appliquée pendant '3am lboun' (l’année du bon) où les autorités offraient des aides alimentaires pour justifier aussi leur légitimité", poursuit notre interlocuteur. "On se souvient de la révolte du pain (Intifadat koumira les 20 et 21 juin 1981) et des émeutes de 1981 et de 1984 contre la hausse des prix et la cherté de la vie qui avaient toutes un lien avec le pain et les produits alimentaires en général", relève-t-il.
Selon Mohamed Chakir, "les associations partisanes et islamistes ont adopté plus tard la même stratégie, c’est-à-dire qu’elles donnaient des aides souvent sous forme de produits alimentaires aux gens pour attirer de nouveaux partisans ou électeurs". Aujourd’hui, "à l’approche de chaque scrutin, les élus se surpassent pour offrir des walima (festins) dans les régions rurales. Et dans la culture populaire et rurale en particulier, quand quelqu’un donne à manger à son prochain, celui-ci se doit de le lui rendre", estime le politologue.
Au Maroc, le statut de reconnaissance d’utilité publique (RUP) est régi par le dahir de 1958. Le décret n° 2-04-969 du 10 janvier 2005, pris pour l’application du dahir de 1958, a aussi apporté d’importantes modifications aux conditions de son attribution aux associations.
"Si le partenariat entre l’État et les associations remonte aux premières années de l’indépendance", c’est la circulaire n°7/2003 du Premier ministre qui pose les bases de la politique officielle du gouvernement envers les associations, soulignait le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans une étude sur le tissu associatif au Maroc. "Cette circulaire traduit la volonté du gouvernement de faire du partenariat avec les associations l’un des instruments privilégiés permettant de concrétiser la nouvelle politique de proximité, qui vise à lutter contre la pauvreté et à améliorer les conditions de vie des citoyens en situation de précarité ou de difficulté, à travers la satisfaction de leurs besoins prioritaires, moyennant un ciblage pertinent des projets et des bénéficiaires". D’autres textes législatifs ont été promulgués en la matière depuis 2014.
Cadre légal insuffisant
Mais le cadre légal actuel reste toujours insuffisant pour encadrer ces associations, déplorait le CESE. "Selon des témoins, on trouve aussi des pratiques d’élus, ou des personnes liées aux autorités, utilisant des associations créées par leurs soins pour capter des ressources et / ou pour appuyer des visées électorales", relate le conseil dans son étude.
"Il y a des associations caritatives qui reçoivent des subventions d'institutions internationales liées à certains courants idéologiques qui ont contribué au balayage d'un parti politique pour les élections dans une certaine ville marocaine d'une manière sans précédent", rappelle Sami Elmoudni, membre du bureau exécutif de l'Organisation marocaine des droits de l'Homme (OMDH) et gérants de plusieurs projets associatifs.
"Il existe aussi plusieurs associations qui s’activent dans le milieu de bienfaisance alors que nous n’avons aucune garantie pour s’assurer que leurs financements ne sont pas liés à un agenda politique ou électoral. De même pour plusieurs présidents de communes qui se sont constitués des réseaux associatifs qui ne servent finalement que leurs intérêts politiques", regrette-t-il.
Une grande partie de la population marocaine est encore en situation de vulnérabilité. "Certains électeurs se sentent redevables envers ces personnes et considèrent que leurs votes sont moins importants et essentiels que le fait d’avoir à manger", conclut côté Mohamed Chakir.
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