Société
Les infirmiers anesthésistes: une roue de secours?
13/09/2022 - 21:30
Khaoula BenhaddouLa pénurie des médecins anesthésistes se fait durement sentir. Selon les données de la carte sanitaire du Royaume qui date de 2021, le nombre des professionnels anesthésistes-réanimateurs qui travaillent dans le secteur public ne dépasse pas les 466 avec une concentration dans les grandes villes. Un nombre qui serait, selon les spécialistes, en constante baisse en raison des démissions, d’abandon de postes, des départs à la retraite mais surtout à cause de la migration vers le secteur privé ou à l’étranger. Une situation qui perturbe lourdement la programmation des interventions chirurgicales et menace la santé des patients.
Pour faire face à cette réalité alarmante, le département d’Ait Taleb a partagé une note appelant les infirmiers anesthésistes à pratiquer des actes d’anesthésie et de réanimation même en l’absence du médecin spécialiste. "Les infirmiers anesthésistes se doivent d’assurer temporairement les interventions urgentes prescrites par le médecin qui ne peuvent être différées en l’absence du médecin anesthésiste-réanimateur", ordonne cette note qui date du 9 septembre qui précise que "le refus d’assistance à une personne en danger est un délit réprimé par le Code pénal". Une décision qui a provoqué l’ire des professionnels du secteur.
Dans ce sens, la Fédération nationale des anesthésistes réanimateurs du Maroc (FNAR) a publié un communiqué pour dénoncer cette décision. "La FNAR déplore et n’accepte pas l’approche simpliste du ministère de la santé entravant la sécurité des patients subissant une anesthésie dans les structures de soins publiques", lit-on dans ce document. Et de poursuivre: "les textes de loi régissant la pratique anesthésiste et d’après toutes les recommandations de l’OMS…l’anesthésie est un acte médical qui se fait sous la responsabilité du médecin anesthésiste…toutes les recommandations scientifiques sur la sécurité anesthésique exigent la présence à proximité des locaux où se pratiqué l’anesthésie d’un médecin anesthésiste. Il est prouvé que ceci réduit la morbidité et la mortalité péri-opératoires".
Toujours selon le même document, la FMAR rappelle que "la compétence des infirmiers anesthésistes dans leur domaine d’exercice leur permet de collaborer avec les médecins anesthésistes à la réalisation des gestes et à la sécurisation du péri opératoire".
La Fédération explique que "la refonte de notre système de santé exige une vision holistique, un réel audit sur la gouvernance, un vrai diagnostic des états des lieux, des dysfonctionnements et des problèmes des ressources humaines et pas des décisions non concertées qui compromettent la sécurité des patients, engagent des responsabilités surajoutées pour les soignants en l’occurrence les infirmiers anesthésistes et les chirurgiens".
Une pratique courante !
Les infirmiers anesthésistes ont depuis toujours été entre l’enclume de la loi et le marteau du devoir. Certes, l’article 6 de la loi 43-13 stipule que "l’infirmier en anesthésie- réanimation accomplit des actes d’anesthésie ou de réanimation des patients sous la responsabilité et la surveillance directe d’un médecin spécialiste en anesthésie réanimation" mais en absence du médecin spécialiste, l’infirmier doit absolument porter secours à une personne en danger pour éviter d’être poursuivie en justice.
Malgré ce flou juridique, les infirmiers répondent souvent à l’appel comme l’explique Abdelilah Asaissi, Président de l’association marocaine des infirmiers anesthésistes-réanimateurs (AMIAR). Il indique que la note du ministère de la santé vient tout simplement officialiser une pratique courante. "L’infirmier anesthésiste a depuis toujours joué le rôle des médecins spécialistes surtout dans les zones enclavées. Je tiens à préciser que le nombre de médecins anesthésistes du secteur public ne dépasse pas les 220. Bien évidemment si on élimine les abondons de postes, les retraités et personnes qui travaillent pour le privé, nous n’aurons au total que 170 médecins anesthésistes. Cette note est venue uniquement pour briser un tabou et mettre le point sur une pratique courante". Et d’ajouter: "c’est une forme de reconnaissance pour les efforts des infirmiers anesthésistes qui travaillent dans des conditions difficiles pour sauver des vies en danger c’est notre devoir !"
Mounir Mikou, anesthésiste et membre de la société marocaine des médecins anesthésistes et réanimateurs souligne que ce sujet qui ne date pas d’aujourd’hui. "C’est un débat qui date de plusieurs années. Je tiens à souligner que la pénurie des médecins anesthésistes se fait également ressentir dans le secteur privé puisque plusieurs cliniques travaillent uniquement avec les infirmiers anesthésistes. D’autres cliniques n’ont qu’un seul anesthésiste-réanimateur qui travaille 24/24. Pour faire face à ce problème, il faut former et recruter des médecins qui pourront répondre aux besoins de la population", regrette-t-il avant de noter qu'"un autre problème de taille s’impose: le cadre juridique. Plusieurs textes doivent être revus pour défendre les droits des patients mais aussi des professionnels du secteur (infirmiers ou médecins) qui sont toujours jugés par le code pénal dans certaines situations".
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