Economie
Myriam Lahlou Filali : «Le Maroc peut produire des vaccins»
08/02/2021 - 15:43
Khaoula BenhaddouSNRTnews : Le Maroc a-t-il les compétences et techniques nécessaires pour fabriquer un vaccin ?
Myriam Lahlou Filali : Il existe au Maroc au moins deux laboratoires pharmaceutiques nationaux, dont le laboratoire PHARMA 5, qui maitrisent les formes injectables stériles ; technologie proche de celle du vaccin dont l’expertise permet d’ambitionner de se positionner sur le vaccin. La fabrication de médicaments injectables stériles est une activité pharmaceutique extrêmement complexe. Elle requiert beaucoup de maîtrise allant de la formation et l'habilitation du personnel jusqu'au processus de fabrication en zone stérile. Il faut aussi assuré les conditions environnementales des zones à atmosphère contrôlées participant aux opérations de production. Tous ces points sont parfaitement contrôlés et maitrisés au sein de notre groupe depuis plus de 10 ans.
Alors pourquoi le Maroc ne fabrique pas des vaccins ?
Au Maroc, il n’existe pas encore de fabrication locale de vaccins en raison de la petite taille du marché associée à l’absence de préférence nationale. En effet, compte tenu de l’importance de l’investissement tant sur le plan financier qu’en termes de moyens humains dédiés, il n’est pas envisageable de se lancer dans une telle aventure sans un partenariat stratégique avec les pouvoirs publics. Il faut préciser que les utilités et équipements à la pointe de la technologie, totalement dédiés à la vaccination sont extrêmement onéreuses. En plus, cette technologie délicate exige une expertise spécifique.
Quelles sont les étapes de fabrication du Vaccin ?
La fabrication d’un vaccin se fait en deux étapes. La première est très longue et complexe à réaliser. Il y a la complexité du processus, la courbe d’expérience indispensable et criticité du produit. Ceci exige des investissements financiers colossaux de l’ordre de plusieurs milliards de dirhams pour acquérir des équipements lourds comme les centrifugeuses, les fermenteurs et autres réacteurs. La deuxième étape, elle, peut être localisée au Maroc à court terme car elle nécessite un investissement important de plusieurs centaines de millions de dirhams. Il faut compter un minimum de 9 mois (installations, équipements, qualification du personnel) pour un laboratoire qui maîtrise déjà la technologie de la production d’injectables stériles comme Pharma 5.
Aujourd'hui, on parle de transfert de technologie du vaccin. Il y en a même qui voient le Maroc comme un hub régional de fabrication et de distribution de vaccins. Où en sommes-nous réellement ?
Actuellement, nous ne pouvons pas nous prononcer sur ce sujet. En revanche, je peux affirmer qu’une telle ambition est à la portée de notre pays. Mais elle nécessite une volonté forte et une implication totale des pouvoirs publics compte tenu des enjeux financiers et humains. Les transferts de compétences à travers la formation pharmaceutique, le développement des capacités locales de production industrielle des médicaments au plus près des besoins, la mise en place d’une concertation plus fréquente entre les entreprises du médicament et les instances publiques, doivent être la priorité. L’OMS a d’ailleurs appelé, en novembre dernier, les pays africains à intensifier leur préparation à la vaccination contre la COVID-19. L'institut mondiale recommande que le continent africain se dote de producteurs locaux pour être plus autonome à l’échelle du continent. En tant que producteur local, nous avons besoin de soutien pour avancer dans cette direction. Comme je vous ai expliqué, pour les vaccins, le marché marocain est limité. Pour poursuivre nos engagements en recherches et développement ainsi que nos investissements industriels, nous devons être assuré, en tant qu’industriel, du soutien total de l’État et de la mise en place de la préférence nationale afin d’avoir un marché de base, celui du Maroc, et de nous permettre de nous déployer au-delà du territoire.
L’industrie pharmaceutique indienne s’est démarquée durant cette période. Comment expliquez-vous cela ?
L’industrie pharmaceutique indienne n’a pas attendu la pandémie de la COVID-19 pour se démarquer. Depuis le début des années 90, les Indiens ont été les premiers à proposer des médicaments génériques pour les trithérapies contre le VIH à des prix défiant toute concurrence. Depuis, l'Inde est un acteur mondial clé grâce à la forte implication des pouvoirs publics qui ont soutenu les investissements, mis en place la préférence nationale pour faire de l’Inde le laboratoire du monde. C'est ainsi que l’Inde est devenu le plus grand fournisseur de médicaments génériques au monde, occupant une part de 20% de l'offre mondiale en volumes, et 62% de la demande mondiale de vaccins. L’Inde ayant pu compter sur une volonté étatique très forte de soutenir la fabrication locale de médicaments, donnant la préférence nationale absolue aux laboratoires indiens. Compte tenu de la taille de leur territoire, ils ont très rapidement obtenu l’intégralité de leurs marchés intérieurs grâce à quoi ils ont pu se doter de toutes les technologies de pointe nécessaires à la fabrication de vaccins, par exemple.
Peut-on suivre ce modèle ?
Le Maroc suit déjà cette voie avec le développement d’une industrie nationale forte depuis une vingtaine d’années mais qui est en perte de vitesse en raison de la forte augmentation des importations au détriment de la production locale. A la petite échelle de notre laboratoire, nous avons connu une histoire similaire à celle de l’Inde avec les traitements génériques contre le Sida. Pharma 5 a pu développer et produire le traitement 100% marocain contre l’hépatite C, 100 fois moins cher que le produit de référence américain, et qui a permis, à date d'aujourd'hui, de traiter plus de 50.000 personnes au Maroc. L’Inde dispose par ailleurs d’un marché intérieur de plus de 1,3 milliards d’habitants, ce qui nous a incité ainsi qu’un grand nombre de nos confrères, à nous tourner vers les marchés africains, où nous avons la chance de pouvoir fournir des produits à des prix compétitifs, tout en trouvant des relais de croissance pour notre industrie nationale.
Qu'en est-il des génériques contre les maladies comme la Covid-19 ?
Nous fabriquons d’ores-et-déjà, au Maroc, la quasi-totalité des médicaments traitant la Covid-19 (chloroquine, azithromycine, etc.). Nous avons donc, bien entendu, au Maroc la capacité de fabriquer un générique contre la Covid-19, si celui-ci n’est pas soumis à un brevet. Pour conclure, l’industrie pharmaceutique nationale dispose de compétences et capacités techniques de très haut niveau. Ce qui nous a permis de répondre aux besoins de nos concitoyens malgré la pandémie. Cette industrie a démontré qu’elle est garante de la sécurité sanitaire de notre pays. Nous avons maintenant besoin d’une volonté politique forte pour placer notre industrie au centre des stratégies industrielles de l'Etat.
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