Société
Cliniques privées: le Conseil de la concurrence pointe plusieurs pratiques frauduleuses
09/12/2022 - 20:19
Mohammed FizaziLe Conseil de la concurrence a publié son enquête sur le fonctionnement concurrentiel du marché des soins médicaux dispensés par les cliniques privées et les établissements assimilés au Maroc. Son analyse, basée sur une appréciation objective de la situation concurrentielle du secteur, a permis de faire ressortir des constats quant à la dynamique enregistrée par ce marché au cours des dernières années, ainsi que des dysfonctionnements l’empêchant de jouer pleinement son rôle dans le développement du système national de santé.
Dans son rapport, le Conseil estime que les cliniques privées et établissements assimilés sont devenus l’un des acteurs majeurs dans le marché des soins médicaux. "Ils sont actuellement au nombre de 613 établissements, dont 389 sont des cliniques privées (63%). Ces dernières offrent un tiers (33,6%) de la capacité litière nationale d’hospitalisation", explique la même source.
Le document ajoute que l'investissement dans le secteur des cliniques privées s’est vu particulièrement accéléré après la publication de la loi n° 131.13 ayant permis l’ouverture de leur capital. Sur le plan de la consommation médicale, les cliniques privées constituent le premier poste de dépenses en tiers payants pour l’Assurance maladie obligatoire (AMO) et le deuxième prestataire de soins dans les dépenses courantes de santé au niveau national, après les pharmaciens et les fournisseurs de dispositifs médicaux.
Le Conseil déplore une répartition géographique inégale et déséquilibrée des cliniques privées au Maroc, En effet, cinq régions regroupent 79% des cliniques privées et 82% des lits de l’offre en hospitalisation privée. Il s’agit des régions de Casablanca-Settat, Rabat-salé-Kenitra, Tanger-Tétouan Al-Hoceima, Fès-Meknès et Marrakech-Safi. Dans ces régions, le secteur privé héberge entre 25% et 50% de la capacité litière du territoire. "Nos régions du sud et du sud-est restent, pour leur part, quasiment dépourvues de ces structures de soins", indique le document.
L'institution note également une opacité du marché des soins médicaux dispensés par les cliniques privées. En effet, il n’existe aucune entité ou structure administrative (service, division ou direction) relevant du ministère de la santé, dédiée au suivi et à la promotion des cliniques privées et à la collecte des informations y afférentes. Pour cette raison, les services du Conseil de la concurrence se sont trouvés dans l’obligation de diligenter une enquête de terrain, menée par un cabinet d’études mandaté à cet effet.
Absence d’un cadre juridique
L’un des constats les plus saillants liés au marché des soins dispensés par les cliniques privées a trait à l’absence d’un cadre juridique dédié, en dépit de l’importance, au niveau national, des soins médicaux offerts par les cliniques privées. A cet égard, il y a lieu de relever que les dispositions juridiques actuelles relatives aux cliniques privées sont dispersées dans plusieurs textes législatifs et réglementaires régissant le système de santé national (6 textes différents). En effet, les cliniques privées ne sont considérées par les pouvoirs publics que comme une simple composante de ce système.
Le Conseil évoque également l'importance majeure des cliniques à but non lucratif au Maroc. Elles ont impulsé une dynamique de développement sur le marché des cliniques privées, qui s’est traduite par la mise en place de polycliniques par la CNSS, des centres d’hémodialyse par les mécènes et des hôpitaux universitaires par les fondations. Elles sont au nombre de 199 établissements, soit 32% de l’ensemble des cliniques privées et établissements assimilés. Les cliniques privés à but non lucratif sont pour leur part peu nombreuses mais avec une capacité litière importante (26, avec une taille moyenne de 91 lits. Elles regroupent ainsi 17,4% de la capacité d’hospitalisation du secteur privé).
L'institution ajoute qu'une modernisation progressive des modes de gestion des cliniques privées se dirige vers un modèle d’hôpital privé. Le modèle de l’hôpital privé s’est ainsi imposé dans le secteur lucratif et non lucratif. La loi n° 131.13 relative à l’exercice de la médecine a consacré cette évolution en préconisant des dispositions législatives contraignantes en rapport avec la gouvernance des cliniques privées, comme la mise en place de la commission médicale d’établissement, de la direction médicale et de la direction financière. "Le modèle de cliniques de petite taille (capacité inférieure à 20 lits), qui représentent la moitié des cliniques privées, n’est pas reconnu dans ce cadre législatif et se trouve contraint à évoluer", indique le Conseil.
Par ailleurs, le capital social des cliniques privées et établissements assimilés demeure sous-capitalisé: en deçà de 1 million de dirhams dans 43% des cas et il varie entre 1 et 10 millions de dirhams dans 43 % des cas. Ce n’est que dans 13% des cas que le capital est supérieur à 10 millions de dirhams. Toutefois, le marché connaît une évolution quantitative et qualitative du capital social, en lien avec le passage du financement par fonds propres à un financement plus conséquent par des fonds d’investissement.7
Des modèles de gestion traditionnels
Le marché des soins dispensés par les cliniques privées devenu de plus en plus ouvert et attractive, En revanche, les cliniques privées de petite taille demeurent gérées selon des modèles de gestion traditionnels, marqués par la dominance du corps médical, au détriment de corps administratif spécialisé.
Le Conseil de la concurrence relève également la persistance de barrières à l’entrée du marché des soins dispensés par les cliniques privées. Parmi les contraintes majeures rencontrées par les opérateurs figure essentiellement la rareté du foncier pour équipement de santé, particulièrement dans les grandes agglomérations, ce qui contraint les promoteurs à rechercher du foncier commercial ou résidentiel pour lequel il est nécessaire d’engager des démarches longues et coûteuses auprès des services communaux et de l’urbanisme. La longueur et la complexité des démarches administratives préalables à l’ouverture d’établissements sont également considérées comme une barrière à l’entrée.
Recours illégal au personnel du secteur public
On note également la rareté structurelle des ressources humaines médicales et paramédicales et recours illégal des cliniques privées au personnel du secteur public. Ceci biaise non seulement le fonctionnement concurrentiel du marché des soins dispensés par les cliniques privées, mais altère aussi fortement l’efficacité de l’utilisation des infrastructures hospitalières publiques.
Le rapport relève l'existence de plusieurs pratiques frauduleuses. Il s’agit principalement des accords de captation de la clientèle/patientèle: accords d’exclusivité et ristournes entre les cliniques et les transporteurs (ambulanciers, taxis, etc.). Il s’agit également des ristournes au profit des médecins des secteurs public et privé. Ces derniers dirigent, voire rabattent, des patients au profit des cliniques qui offrent les ristournes les plus élevées sous forme de paiement au noir non déclaré au fisc et supporté par les patients. Tout ceci constitue des entraves au fonctionnement concurrentiel du marché des soins dispensés par les cliniques privées.
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