Politique
Karima Benyaich, la diplomate en première ligne de la crise maroco-espagnole
23/05/2021 - 14:39
Ghita IsmailiLes images de sa dernière sortie médiatique ont fait le tour de la presse espagnole et au-delà. Depuis le ministère des Affaires étrangères et de la coopération africaine à Rabat, où elle a été rappelée cette semaine, Karima Benyaich a réexpliqué, le plus explicitement possible, la position du Maroc dans la crise déclenchée vers la mi-avril par l’accueil de Brahim Ghali sous une fausse identité dans un hôpital en Espagne.
"Le recours au même procédé pour l’exfiltration du dénommé Brahim Ghali de la même manière avec laquelle il est entré en Espagne est un choix pour le statu quo et l’aggravation de la crise", a affirmé vendredi l’ambassadrice du Royaume à Madrid, dans une déclaration lue à la presse espagnole. "La grave crise actuelle entre Madrid et Rabat (…) constitue un test de la fiabilité et de la sincérité du discours, véhiculé depuis des années en faveur du bon voisinage et du partenariat stratégique qui ont toujours prévalu entre les deux pays", a-t-elle prévenu.
"L’Espagne a disgracieusement opté pour l’opacité, en manœuvrant derrière le dos du Maroc et en accueillant et protégeant ce criminel et bourreau, en invoquant des considérations humanitaires, ce qui constitue une offense à la dignité du peuple marocain", a souligné la diplomate, affirmant que le Maroc "ne cherche aucune faveur ou complaisance", mais qu’il demande "seulement le respect de l’esprit du partenariat stratégique le liant à l’Espagne et l’application du droit espagnol".
En première ligne
Dans un communiqué diffusé le 20 mai, le ministre des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, Nasser Bourita faisait savoir que Karima Benyaich a été rappelée pour consultations par rapport à cette crise et pour laquelle le Maroc "n’a pas encore reçu de clarifications ni de réactions".
L’ambassadrice marocaine a reçu, selon le chef de la diplomatie marocaine, les indications de son rappel pour consultations à Rabat la veille de sa convocation au ministère espagnol des Affaires étrangères mardi. L’Espagne lui a donné 30 minutes pour venir à son ministère des Affaires étrangères, un "acte inédit, inhabituel dans les relations entre pays voisins et rare dans la pratique diplomatique", a tenu à souligner le ministre, précisant que "l’ambassadeur de Sa Majesté le Roi ne reçoit d’instructions que de son pays". Karima Benyaich restera à Rabat tant que la "véritable cause" de la crise n’est pas résolue, a-t-il affirmé.
L’ambassadrice avait haussé le ton dès le début de la semaine. Elle a été la première responsable marocaine à se prononcer sur l’arrivée des migrants à Sebta, après sa convocation par Arancha Gonzalez Laya. Dans une déclaration à Europa Press, accordée quelques instants avant son entretien avec la MAE espagnole, elle a affirmé : "il y a des actes qui ont des conséquences et ils doivent être assumés".
Scolarité au Collège royal
Karima Benyaich, 60 ans, est loin d’être une novice en matière de la diplomatie. Avant d’être nommée par SM le Roi Mohammed VI à Madrid en 2018, succédant à son frère Fadel qui était à ce poste depuis 2014, elle a été ambassadrice du Maroc à Lisbonne. Ce poste, elle l’a occupé pendant pas moins de dix ans. "J’ai eu le grand honneur et le privilège d’avoir été nommé par SM le Roi Mohammed VI au Portugal. C’est une mission qui est lourde et importante qui vient récompenser mon dévouement et mon service à ma patrie", confiait-elle en 2009 à la presse marocaine.
"Cette nomination est une chance pour moi, puisque la diplomatie m’a toujours intéressée. Ma mission consiste à représenter mon pays, et contribuer à renforcer les relations qui unissent le royaume du Maroc et le Portugal dans les différents domaines. J’essaye de faire connaître et de promouvoir l’image du royaume, mais aussi de défendre les valeurs et les intérêts du Maroc et de mettre en lumière ses potentialités et ses fortunes", assurait-elle.
Karima Benyaich est née à Tétouan, de mère espagnole originaire de Granada (sud de l’Espagne) et de père marocain, qui n’était autre que le médecin personnel de feu le Roi Hassan II. "Malheureusement, il est décédé quand j’avais l’âge de 10 ans. Il avait beaucoup d’ambitions pour sa ville, où il a passé toute sa vie, et je suis aujourd’hui contente de pouvoir contribuer à un petit niveau de rendre heureux le public tétouanais", confiait-elle dans une autre interview accordée à la presse nationale en 2011, en marge de la 4e édition du festival Voix de femmes de Tétouan qu’elle présidait.
Tout comme son frère, Karima est une élève du Collège royal où elle a fait ses études primaires et secondaires avant de s’envoler pour le Canada. Là-bas, elle décroche un master en sciences économiques à l’Université de Montréal, puis fait un troisième cycle en finance et commerce international. Sa thèse de fin d’études était justement sur "l'’impact de l’intégration de l’Espagne et du Portugal dans la communauté européenne sur l’économie marocaine".
De retour au Maroc, elle occupe plusieurs postes, notamment celui de directrice de la coopération culturelle et scientifique au ministère des Affaires étrangères et représentante du Maroc au Conseil permanent de la francophonie. Elle a même été "conseillère diplomatique" pour la candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du monde de football en 2006 et 2010.
Sur son CV, elle compte aussi un doctorat honoris causa décerné par l’Université nouvelle de Lisbsonne en 2013 et plusieurs décorations, dont celle de Commandeure de l’Ordre du mérite civil en Espagne (2000) et celle d’Officier de l’Ordre national du mérite en France (2007).
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