Société
Le pain de la discorde
27/01/2021 - 14:12
Khaoula BenhaddouIl est midi. Dans une pâtisserie de la métropole, une dizaine de clients font la queue pour acheter l'aliment indispensable des Marocains au quotidien : le pain. L'une des habituées interroge la caissière sur la qualité du blé utilisé pour sa fabrication. Les mots "OGM" et "toxicité" émergent lors de la discussion. D'autres personnes se joignent à la conversation avant que le propriétaire des lieux ne vienne rassurer ses clients :«Je travaille dans ce secteur depuis plusieurs années. Nous utilisons un blé de qualité et nous respectons les règles d’hygiène.Il ne faut pas s’affoler».
Cet incident n'est ni anodin, ni encore moins isolé. Depuis quelques jours, les interrogations et inquiétudes montent au sujet du pain et de sa qualité. Un vent de panique souffle sur les inconditionnels du pain. Tout a commencé par un communiqué de la fédération marocaine des droits des consommateurs (FMDC) qui qualifie le pain d'une "véritable menace pour la santé" car il serait fabriqué à partir de blé contenant des OGM (Organisme Génétiquement Modifié).
Contacté par nos soins, le président de cette association, Bouazza Kherrati, persiste et signe : «la plupart des céréales utilisés pour la fabrication du pain sont modifiés génétiquement afin d'augmenter la quantité d'amidon et générer une meilleure productivité pour les acteurs économiques. Ce sujet nous pousse à ouvrir le débat sur l’utilisation des OGM ainsi que l’usage excessif des pesticides». Pour lui, il n’y a aucune réglementation sur les OGM au Maroc. Il accuse le ministère de l'agriculture de manque de transparence.
Un danger public!
Pour lui, l’usage des OGM et des pesticides représente un véritable danger pour la santé des citoyens. Avec un ton nostalgique, Bouazza Kherrati renchérit par une réthorique plutôt virulente en s'en prenant à l'agriculture moderne : «nous pouvons comparer les tomates d’antan et celles d’aujourd’hui. Les tomates de notre enfance pourrissaient rapidement. Celles d’aujourd’hui peuvent résister plusieurs jours dans le réfrigérateur, même le goût a changé. La même chose pour le blé et les céréales». Le président de fédération marocaine des droits des consommateurs voit plus loin en affirmant que «le blé reçoit le plus de pesticides, dans toutes les étapes de sa culture et sa transformation. Il suffit de visiter la région de Roumani durant le mois de mars pour sentir l’odeur des pesticides qui remplit les lieux. C’est un vrai danger pour l’homme mais aussi pour les animaux».
Des accusations infondées…
Pourtant, l’Office National de Sécurité Sanitaire des produits Alimentaires (ONSSA) nie ces accusations qu'il juge dénuées de tout fondement. Contacté par la SNRTnews, l’Office assure que le blé marocain ne contient pas de produits toxiques ni d’OGM. «La production nationale de blé est conforme en matière de sécurité sanitaire. La totalité du blé importé est contrôlée sur le plan physico-chimique (mycotoxines, résidus de pesticides et des métaux lourds). D’ailleurs, il n’existe pas de blé OGM commercialisé au niveau international», précise l'ONSSA. Ce n'est pas tout. Les céréales, nous dit-on, sont contrôlées à l’importation et au niveau du marché local. Le blé importé est soumis au contrôle systématique des services de l’ONSSA, notamment en matière de conformité et de sécurité sanitaire. En ce qui concerne le marché local, les inspecteurs de l’ONSSA contrôlent les céréales au niveau des établissements de stockage autorisés, et ce dans le cadre des visites sanitaires de suivi en procédant également aux vérifications nécessaires de leur conformité et sécurité sanitaire.
Les boulangeries sont également contrôlées par des commissions mixtes préfectorales regroupant plusieurs départements ministériels. «Rien qu'en 2020 des commissions mixtes ont réalisé plus de 20.000 visites de contrôle, y compris celles des boulangeries. Pour les boulangeries industrielles, elles sont soumises à l’autorisation et au suivi sanitaire régulier de l’ONSSA», précise l'Office.
Même son de cloche chez les boulangers. Pour le président de la fédération des boulangers, Houcine Azzouz, les accusations de la FMDC n'ont aucun rapport avec la réalité du terrain. «J’ai lu avec stupéfaction le communiqué de la fédération marocaine des droits du consommateur avec qui nous avons eu l’occasion de travailler. Je tiens à préciser que ces accusations sont infondées. Nous respectons les lois qui régissent notre secteur. Les moulins avec nous travaillons respectent les normes de fabrication et ont également des laboratoires qui contrôlent leurs produits. Je tiens à rassurer les marocains », affirme-t-il. Par contre, il partage l’avis de la FMDC concernant le marché informel. Ce secteur gagne du terrain et les fours poussent comme des champignons. La fédération des consommateurs alerte d'ailleurs sur l’ajout du sel, du sucre dans la fabrication du pain. Ces ajouts pourraient, selon l'organisation, causer d’une manière directe ou indirecte de nombreuses maladies comme le cancer du colon, l’eczéma, l’obésité et les allergies…
«Il y a beaucoup d’anarchie et de défaillances. Plusieurs fours travaillent dans l’informel et prépare le pain dans des lieux insalubres », constate le président de FMDC. En gros, M. Kherrati considère le secteur du pain comme «hors contrôle».
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