Société
Myriam Lahlou: "Il faut avoir une implication totale de l'État pour fabriquer des vaccins 100% Marocains"
23/05/2021 - 10:58
Khaoula BenhaddouSNRTnews : Le Maroc a-t-il les compétences et techniques nécessaires pour fabriquer un vaccin ?
Myriam Lahlou Filali : À ma connaissance, il existe au Maroc au moins deux laboratoires pharmaceutiques nationaux, dont le laboratoire PHARMA 5, qui maîtrisent les formes injectables stériles. Il s’agit d’une technologie proche de celle du vaccin dont l’expertise permet d’ambitionner de se positionner sur le vaccin. La fabrication de médicaments injectables stériles est une activité pharmaceutique très complexe. Elle requiert une expertise bien particulière allant de la formation et l'habilitation du personnel jusqu'au processus de fabrication en zone stérile, tout en assurant les conditions environnementales des zones à atmosphère contrôlées participant aux opérations de production.
Alors pourquoi le Maroc ne fabrique-t-il pas des vaccins ?
Au Maroc, il n’existe pas encore de fabrication locale de vaccins en raison de la petite taille du marché associée à l’absence de préférence nationale. En effet, compte tenu de l’importance de l’investissement tant sur le plan financier qu’en termes de moyens humains dédiés, il n’est pas envisageable de se lancer dans une telle aventure sans un partenariat stratégique avec les pouvoirs publics. Il faut préciser que les utilités et équipements à la pointe de la technologie, totalement dédiés à la vaccination sont extrêmement onéreuses. En plus, cette technologie délicate exige une expertise spécifique.
Depuis le début des essais cliniques au Maroc sur le vaccin chinois de Sinopharm, on avait parlé d’un transfert de technologie et de compétences pour produire le vaccin au Royaume et le commercialiser dans les pays africains. Où en sommes-nous actuellement ?
Nous ne pouvons pas nous prononcer sur l’état d’avancement sur ce sujet. En revanche, je peux affirmer qu’une telle ambition est à la portée de notre pays. Mais elle nécessite une forte volonté et une implication totale des pouvoirs publics compte tenu des enjeux financiers et humains qu’implique ce projet.
Les transferts de compétences à travers la formation pharmaceutique, le développement des capacités locales de production industrielle des médicaments au plus près des besoins, la mise en place d’une concertation plus fréquente entre les entreprises du médicament et les instances publiques doivent être la priorité.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a d’ailleurs appelé, en novembre dernier, les pays africains à intensifier leur préparation à la vaccination contre la COVID-19, et recommande aux pays du continent africain de se doter de producteurs locaux pour gagner en autonomie en matière de vaccins.
En tant que producteur local, nous avons besoin de soutien pour avancer dans cette direction. Comme expliqué, pour les vaccins, le marché marocain est limité et très éclaté entre différents sérums. Pour poursuivre nos engagements en Recherche & Développement ainsi que nos investissements industriels, nous devons avoir l’assurance, en tant qu’industriels, du soutien total de l’État et de la mise en place de la préférence nationale afin d’avoir un marché de base, celui du Maroc, et de nous permettre de nous déployer au-delà du territoire.
L’industrie pharmaceutique indienne s’est démarquée durant cette période de crise sanitaire liée à la Covid-19. Comment expliquez-vous cela ?
L’industrie pharmaceutique indienne n’a pas attendu la pandémie de la COVID-19 pour se démarquer. Depuis le début des années 90, les Indiens ont été les premiers à proposer des médicaments génériques pour les trithérapies contre le VIH à des prix défiant toute concurrence. Depuis, l'Inde est un acteur mondial clé grâce à la forte implication des pouvoirs publics qui ont soutenu les investissements, mis en place la préférence nationale pour faire de l’Inde le laboratoire du monde.
C'est ainsi que l’inde est devenu le plus grand fournisseur de médicaments génériques au monde, occupant une part de 20% de l'offre mondiale en volumes, et 62% de la demande mondiale de vaccins. L’Inde ayant pu compter sur une volonté étatique très forte de soutenir la fabrication locale de médicaments, donnant la préférence nationale absolue aux laboratoires indiens. Compte tenu de la taille de leur territoire, ils ont très rapidement obtenu l’intégralité de leurs marchés intérieurs grâce à quoi ils ont pu se doter de toutes les technologies de pointe nécessaires à la fabrication de vaccins, par exemple.
Peut-on suivre ce modèle ?
Le Maroc suit déjà cette voie avec le développement d’une industrie nationale forte depuis une vingtaine d’années mais qui est en perte de vitesse en raison de la forte l’augmentation des importations au détriment de la production locale.
À la petite échelle de notre laboratoire, nous avons connu une histoire similaire à celle de l’Inde avec les traitements génériques contre le Sida lorsque Pharma 5 a pu développer et produire le traitement 100 % marocain contre l’hépatite C, 100 fois moins cher que le produit de référence américain, et qui a permis, à date, de traiter plus de 50.000 personnes sur notre territoire.
L’Inde dispose par ailleurs d’un marché intérieur de plus de 1,3 milliard d’habitants, ce qui nous a incité ainsi qu’un grand nombre de nos confrères, à nous tourner vers les marchés africains, où nous avons la chance de pouvoir fournir des produits à des prix compétitifs, tout en trouvant des relais de croissance pour notre industrie nationale.
Par ailleurs, cette semaine encore, des façonniers français, qui maîtrisent l’injectable stérile, comme Pharma 5, vont se charger du conditionnement (opération de remplissage des flacons), emballage et aseptisation pour le vaccin développé par Pfizer/BioNTech. Une production rendue possible en France grâce à de très gros investissements.
Qu'en est-il des génériques contre les maladies comme la Covid-19 ?
Nous fabriquons d’ores-et-déjà, au Maroc, la quasi-totalité des médicaments traitant la Covid-19 (chloroquine, azithromycine, etc.). Nous avons donc, bien entendu, au Maroc la capacité de fabriquer un générique contre la Covid-19, si celui-ci n’est pas soumis à un brevet.
Mot de la fin …
L’industrie pharmaceutique nationale dispose de compétences et capacités techniques de très haut niveau nous ayant permis de continuer à répondre aux besoins de nos concitoyens malgré la pandémie.
Cette industrie a démontré qu’elle est garante de la sécurité sanitaire de notre Royaume.
Nous avons maintenant besoin d’une volonté étatique forte pour placer notre industrie au centre des industries stratégiques de notre Royaume.
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