Economie
Faillite des cinémas: et si le pass sanitaire était une solution?
11/08/2021 - 22:00
Imane BenichouDans une correspondance évoquant une "détresse immense" dans laquelle est plongé le secteur cinéma au Maroc, les représentants du cinéma ont sollicité le Chef du gouvernement, le ministre de la Culture et le directeur du Centre cinématographique marocain, pour la mise en place "en urgence" du pass sanitaire.
Les exploitants de cinémas représentés par la Chambre marocaine des salles de cinéma, les distributeurs cinéma représentés par la Chambre marocaine des distributeurs de films et les producteurs cinéma représentés par la Chambre marocaine des producteurs de films ont ainsi appelé le Chef du gouvernement à autoriser l'accès aux salles de cinéma après le couvre-feu de 21h à toute personne vaccinée, arguant que "la filière cinéma au Maroc a payé très cher pour la survie des compatriotes marocains".
"Le pass sanitaire existe au Maroc depuis le début de l'année 2021, et désormais plus de 10 millions de Marocains, ayant quasiment tous plus de 30 ans, sont complètement vaccinés et prompts à consommer dans les secteurs affaiblis par la pandémie tels que la restauration, les loisirs et la culture", expliquent les signataires. Ces 10 millions de personnes représentent la catégorie de la population ayant le plus de pouvoir d'achat, "une catégorie cruciale pour la relance économique", précisent-ils encore.
Le soir, 60% des fréquentations
Contacté par SNRTnews, Pierre François Bernet, fondateur et CEO de CINE ATLAS Holding fait savoir que l’exploitation cinéma suit une distribution des entrées tout au long de la journée et se concentre essentiellement le soir à 60%.
"Ce n’est pas parce qu’on ferme plus tôt les cinémas que les gens vont entrer au cinéma l’après-midi", annonce-t-il, soulignant que les clients des cinémas, âgés entre 4 et 50 ans, sont majoritairement des étudiants et des personnes qui travaillent. "Ils vont au cinéma pour se détendre le soir. Alors si nous fermons le soir, nous n’avons plus de clients", déclare Bernet.
El Housain Boudih, président de la Chambre marocaine des salles de cinéma, approché par SNRTnews explique qu’"après avoir fixé le couvre-feu à 21h, nous devons commencer la séance à 18h30 pour finir à 20h. 18h30 n’est pas une heure pour aller au cinéma. Les gens viennent au Cinéma vers 21h". "Le cinéma c’est la nuit", note-t-il.
"Aujourd’hui, nous avons estimé au 3 août que les mesures barrières feraient chuter la fréquentation de 90%. Aucune société au monde ne peut survivre avec 10% de son chiffre d’affaire. Nous sommes en train de puiser nos ressources qui ont été bien plus entamées pendant 15 mois", ajoute le CEO de CINE ATLAS.
Une chute de 90% des rentrées
Avant la pandémie, plus de 60% des recettes quotidiennes des exploitants de cinéma étaient enregistrées en soirée, selon les représentants du secteur. Le couvre-feu de 23h, précédente mesure de restriction, "pesait à lui seul pour moitié dans les 60% de perte de fréquentation". Une chute de fréquentation qui a en conséquence "réduit à néant" les recettes publicitaires qu'enregistraient les cinémas. Ainsi, en imposant un couvre-feu à 21h, les entrées dans les cinémas chuteront d'au moins 90% par rapport à une exploitation hors pandémie, font-ils encore savoir.
Ces données sont, selon les représentants de la filière, publiés et collectés quotidiennement par le CCM auprès des salles de cinéma, révélant que ces 90% de perte de chiffre d'affaires sont pour deux tiers liés à la privation de projection en soirée, et le dernier tiers lié aux autres mesures sanitaires. "Aucune société au Monde ne peut survivre à une telle baisse de chiffres d'affaires", protestent-ils.
"C’est la catastrophe totale. C’est un suicide ! Il nous est impossible de continuer dans cette situation. Nous avons beaucoup attendu mais la patience a des limites", s’indigne le représentant des salles de cinéma au Maroc.
Frôler la faillite
Depuis mars 2020 à juin 2021, les salles de cinéma sont restées fermées 15 mois à cause des restrictions liées à la pandémie. Il s’agit de la plus longue période au monde de fermeture de cinémas liée à cette pandémie. Les mesures sanitaires en vigueur depuis le 4 juin 2021, date de réouverture des salles de cinéma, ont fait chuter la fréquentation de 60%. Les exploitants de cinéma, exerçant leur activité à pertes compte-tenu de ces mesures, ont pourtant "joué le jeu" demandé par les autorités au nom de la relance économique.
"La sagesse serait de fermer, mais qu’est-ce que nous allons faire de nos employés ? A un moment, il faut alerter et nous voilà en train d’alerter", proteste le fondateur de CINE ATLAS. Toutefois, leur alerte est restée sans réponse. "Nous n’avons pas reçu de réponse. Le silence total. Nous avons écrit au Chef de gouvernement, au ministère de la Culture, au ministère des Finances, au directeur du CCM", tonne le président de la chambre marocaine des salles de cinéma.
Les cinémas, étant le guichet quasi exclusif de toute la filière, distributeurs et producteurs marocains, "subissent de plein fouet" ces mesures restrictives, font savoir les représentants. "C'est donc toute la filière cinéma qui est en faillite, une faillite plongeant 30.000 personnes encore plus dans la précarité, sans préavis, et du jour au lendemain", notent-ils dans leur correspondance, rappelant que le secteur emploie directement plus de 5.000 Marocaines et Marocains, et fait vivre 30.000 personnes en incluant les familles des employés de ce secteur.
Les exploitants de cinémas, distributeurs et producteurs de films expliquent que les soutiens d'Etat reçus par les exploitants de cinéma ne couvrent que 8 mois de charges fixes, "partiellement", et affirment que seuls 3 mois d'aides leur ont été versés à ce jour. "Le gouvernement nous a promis une aide de 1 million de dirham pour chaque cinéma pour faire face aux conséquences de cette pandémie, mais nous avons rien reçu pour l’instant", déclare en outre Boudih.
Une transition vers le streaming
La pandémie a accéléré la transition des spectateurs vers les plateformes de streaming. Les abonnements à ces plateformes, à savoir Netflix et Amazon prime, se sont envolés de façon spectaculaire grâce à la fermeture des cinémas.
Depuis, plusieurs pays ont actualisé leurs systèmes fiscaux non adaptés à l’économie mondialisée et numérisée. Dans cette correspondance, les signataires ont saisi l’occasion pour rappeler leur alerte de juin 2021 sur "la gigantesque fraude fiscale opérée au Maroc par les opérateurs de streaming".
"Le Maroc est en train de passer à côté de ressources fiscales phénoménales. Les géants de streaming ne paient rien au Maroc, alors que nous fermés, nous payions des impôts", annonce Bernet.
La régularisation fiscale de ces géants au Maroc, "comme elle s'opère actuellement dans de nombreux pays", permettrait, selon les professionnels de la filière, "de rééquilibrer la balance entre les bailleurs de fonds de l'Assurance Santé au Maroc", chose qui "n'a jamais été la vocation des professionnels de la Culture et des Loisirs", déclarent-ils.
Articles en relations
Economie
Lifestyle
Société