Le printemps du racisme

Les taux d'audience en France, publiés par Médiamétrie, montrent une grande progression de la chaîne d'information CNews, qui a réalisé un score controversé de 2,5% de part d'audience globale.

Ce chiffre est le plus élevé dans l'histoire de la chaîne depuis ses débuts difficiles en 2017, succédant àI-Télé, qui a été acquise par l'homme d'affaires conservateur, Vincent Bolloré, en 2016. Ceci a provoqué une vague de protestations et de grèves, poussant l'homme d’affaires extrémiste à mettre fin à I-Télé et à lancer CNews qui adopte les idées d'extrême droite et accueille à bras ouverts les extrémistes et les racistes, d'Éric Zemmour à Pascal Praud. Le premier a été condamné par la justice française pour incitation à la haine raciale en 2011 et pour incitation à la haine envers les musulmans en 2018. Quant au second, le 29 septembre dernier, il a osé poser à l'un de ses invités une question sur le lien entre l'infestation des punaises de lit et l'immigration en France…

Tout le monde se souvient également de la couverture médiatique par cette chaîne de la tragédie du séisme d’Al-Haouz et de sa gestion non professionnelle d'une catastrophe humanitaire, à l'image de la plupart des médias français qui ont montré leur côté sombre et se sont arrogamment demandé: Le Maroc peut-il surmonter la crise du tremblement de terre sans l'aide française?

La chaîne, qui a atteint des records d'audience, appartient au groupe Canal+, lui-même filiale du groupe Vivendi, détenu par le milliardaire Vincent Bolloré. Ce dernier a récidivé en répétant le même scénario avec “Le Journal de Dimanche”, qu'il a récemment acquis et à la tête duquel il a placé un rédacteur en chef connu pour son appartenance à l'extrême droite, venant d'un magazine raciste appelé Valeurs Actuelles. Comme d'habitude, des protestations et des grèves ont éclaté, et Bolloré a insisté pour définir une nouvelle ligne éditoriale pour le journal, forçant les journalistes à quitter la rédaction vers d’autres cieux, tandis que le nouveau rédacteur en chef, Geoffroy Lejeune, que la chaîne CNews invite avec ou sans occasion, prenait les commandes.

C'est donc un printemps raciste qui fleurit dans le pays des droits de l'Homme, où les langues se déchaînent sans retenue ni surveillance. Certains y voient une expression à haute voix de ce que la majorité pense à voix basse. D'autres y voient le son de "La France décontractée".

Mais quelle est la raison derrière cette montée du racisme dans les médias audiovisuels français ?

L'extrême droite française cherche à reproduire l'expérience américaine, voulant créer une polarité conflictuelle, où Vincent Bolloré serait le Robert Murdoch, Pascal Pru le Tucker Carlson, et CNews l'équivalent de Fox News. Mais ce n'est pas tout. Bolloré et l'extrême droite ont adopté une théorie américaine appelée la fenêtre d'Overton, du nom de son inventeur Joseph Overton. Cette fenêtre imaginaire contient des idées politiques et des théories sociétales acceptées par l'opinion publique. Certains médias et certaines figures controversées ou "grandes gueules" cherchent à étendre cette fenêtre fictive en introduisant des opinions et des idées extrêmement radicales, rendant, par étapes, les points de vues des politiciens extrémistes modérés et acceptables.

Le véritable pouvoir ne réside pas entre les mains des politiciens, mais plutôt entre celles des penseurs et des journalistes qui dominent les médias audiovisuels. Ainsi, Éric Zemmour est passé d'intervenant dans une émission nocturne sur la chaîne publique France 2 à un véritable acteur et candidat à la présidence française. Malgré sa défaite retentissante en tant que porteur d'idées radicalement racistes, et malgré un faible pourcentage de votes, il a transformé la "raciste" d'hier et l'amie des nazis, Marine Le Pen, en une amoureuse des chats avec des idées modérées sur l'immigration et sur l'Islam.

Pour toutes ces raisons, les taux d'audience annoncés ne sont pas à prendre à la légère. Ils indiquent que la France n'est pas confrontée à des illusions de "conquête civilisationnelle" justifiées par la théorie du "grand remplacement", mais est aujourd'hui face à une véritable bataille culturelle qui remet en question sa perception de l'Homme, de la société et du monde.