Société
Les 10 défis de la généralisation de la protection sociale, selon Abdelaaziz Adnane
10/12/2021 - 00:08
Younes SaouryLa généralisation de la protection sociale est un chantier qui cristallise toutes les attentions. Annoncé par SM le Roi Mohammed VI dans les discours du Trône de 2020 et de l’ouverture de la session parlementaire de la même année, ce projet sociétal représente une révolution sociale réelle eu égard à ses incidences directes et concrètes sur l’amélioration des conditions de vie des citoyens, la préservation de la dignité de tous les Marocains et la protection des catégories vulnérables, particulièrement en temps de turbulences économiques, de risques sanitaires et d’urgences diverses.
La réussite de ce grand projet nécessite la conjugaison des efforts des différentes parties prenantes : gouvernement, ministères, acteurs du système de santé (public et privé), société civile, et plus particulièrement, les acteurs des caisses de prévoyance sociale, à savoir la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) – qui a pour mission de piloter et de gérer l’implémentation de la couverture sociale pour tous- et la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS).
Invité à la troisième session portant sur la «Protection sociale» du cycle de conférences «Regards croisés sur la mise en œuvre du Nouveau modèle de développement», organisé par Policy center for the new south (PCNS), Abdelaaziz Adnane, directeur général de la CNOPS a évoqué les principaux défis auxquels le système national de santé devra répondre pour réussir ce projet "complexe", mais surtout, "inédit" pour les acteurs chargés de l’implémenter.
Premier défi : la mise en œuvre
Le premier défi concerne la mise en œuvre de ce projet. Dans ce sens, Abdelaaziz Adnane s’est félicité de la mise en place d’un Comité scientifique, présidé par le Chef du gouvernement, chargé de la généralisation de la protection sociale, ainsi qu’un Comité technique présidé par le ministre délégué auprès de la ministre de l’Économie et des finances, chargé du Budget. Pour lui, ces deux comités doivent être épaulés par un Project management office (PMO), sur le volet méthodologie de gestion du projet.
"Il faut recourir à un PMO qui doit être décliné, non seulement au sein des ministères concernés, mais aussi au niveau des caisses de prévoyances sociales chargées d’implémenter ce vaste projet", explique le DG de la CNOPS.
L’accompagnement des acteurs locaux du système sanitaire dans la mise en œuvre du chantier de généralisation de la protection sociale permettra la mise à niveau du système de santé publique dans sa globalité. Il s’agit, selon Adnane, de l’un des enjeux sur lequel il faut se pencher, car "on craint d’avoir face à une demande grandissante de soins, une offre de soins incapable de suivre".
Deuxième défi : la gouvernance des finances sociales
C’est un secret de polichinelle : la gouvernance du système de la couverture médicale de base connaît de sérieuses limites. Ainsi, la question se pose quant à la refondation de cette gouvernance. "Cette refondation doit nous mener à réfléchir sur la gouvernance des finances sociales qui ne cesse de prendre de l’essor durant les prochaines années", précise Adnane. Il s’est ensuite interrogé sur la nécessité d’adopter des lois sur le financement de la sécurité sociale (comme ce qui a été fait en France en 1996), ou intégrer ce segment de finance sociale dans la Loi organique des finances "pour avoir une vision intégrée des finances".
Troisième défi : la définition du panier de soins solidaire
Le panier de soins constitue la pierre angulaire d’un système de santé. C’est le socle sur lequel s’échafaudent tous les dispositifs structurant le système de soins. La définition du contenu du panier de soins de base constitue, selon Abdelaaziz Adnane, le troisième défi sur lequel doit se pencher le Comité chargé du projet de généralisation de la protection sociale.
"Quel contenu va-t-on donner à ce panier de soins ? Comment va-t-on le faire évoluer ? Quel niveau de couverture ?", sont, entre autres, des questions prioritaires qui doivent interpeller les acteurs du nouveau système. Ces derniers doivent aussi établir la répartition dans ce panier de soins entre l’assurance de base, qui sera assurée par la CNSS, et l’assurance complémentaire, assurée par les mutuelles et les compagnies d’assurance privées, explique le DG de la CNOPS.
Quatrième défi : la refondation de la solidarité
Afin de réussir la mise en place de la généralisation de la protection sociale, il convient d’aller vers un système "inclusif et solidaire", à travers la refondation de la solidarité. "Je considère que la solidarité chez nous est régressive. Ce sont les plus nantis qui bénéficient des soins aujourd’hui, et les plus nantis qui payent le moins", fait remarquer Adnane.
Face à cette régression, il convient d’"adopter des mesures et des mécanismes concrets pour faire jouer pleinement les outils de la redistribution, parce que le rôle des caisses est un rôle redistributif au profit de ceux qui en ont besoin", poursuit-il.
Cinquième défi : la régulation
La généralisation de la protection sociale nécessite une révision du système de régulation. Celle-ci fait actuellement partie des maux du système de protection sociale au Maroc. "En tant qu’acteur je peux dire que nous souffrons de la régulation telle qu’elle est implémentée aujourd’hui, mais aussi de la maîtrise des coûts des soins (médicaments, dispositifs médicaux, etc.)", tonne Abdelaaziz Adnane. "Il est anormal que les Marocains payent un médicament trois fois ou quatre fois plus cher que les Français qui ont le pouvoir d’achat 7 fois plus élevé", note-t-il.
Sixième défi : la refonte du cadre juridique
La refonte des lois et textes qui régissent le système de santé et de protection sociale est aussi importante pour garantir la réussite de ce grand chantier. Il s’agit, selon Adnane, de quatre Lois : la Loi 65-00 sur la couverture médicale, la Loi 98-15 sur l’assurance maladie des indépendants, la Loi 17-02 sur la sécurité sociale et la Loi 34-09 sur le système de santé et l’offre de soins. Cette dernière, qui date de 2013, demeure inappliquée dans l’attente des textes d’application, note le DG de la CNOPS.
Septième défi : l’intégration de la CMB dans le système de santé publique
L’hôpital public, qui joue un rôle important et indispensable dans le système national de santé, doit profiter de la généralisation de la couverture médicale de base, plus particulièrement sur le volet financement. Un constat : "Les hôpitaux publics ne captent que 6% des dépenses santé", fait savoir Abdelaaziz Adnane.
"L’hôpital public est soumis à une concurrence déloyale, car il n’a pas toujours les mêmes procédures d’achat, les mêmes équipements et les mêmes compétences que les autres acteurs du système national de santé", explique davantage le DG de la CNOPS.
Il propose dans ce sens de réviser la relation entre l’hôpital public et les Caisses d’assurance maladie. "On peut même prendre des mesures volontaristes pour favoriser l’accès des citoyens à l’hôpital public", suggère Adnane. Pour lui, le premier pas à envisager pour éviter la reproduction des dysfonctionnements du système actuel est la mise à niveau de l’hôpital public. "Je vois mal demain que les ex-Remadistes qui deviendront des assurés allaient dans un hôpital public dépourvu de moyens pour les accueillir décemment", étaye Adnane.
Huitième défi : la transformation digitale
La réussite du chantier de généralisation de la protection sociale est aussi tributaire d’une forte implication des différents acteurs du système national de santé dans la vague de digitalisation. La transformation digitale des hôpitaux est donc indispensable, car "les dossiers médicaux des patients et les parcours coordonnés des soins ne peuvent être consultés et suivis que via un système d’information fonctionnel au niveau des quatre coins du Royaume", relève Abdelaaziz Adnane.
Il insiste sur la nécessite du développement d’une ingénierie nationale en la matière et de compter sur des ressources nationales pour mettre en place ce système d’information, car "cela relève de la souveraineté numérique du pays". "Je vois mal un système de protection sociale aussi grand et aussi complexe dépendre d’un fournisseur étranger", explique encore le DG de la CNOPS.
Neuvième défi : la formation du capital humain spécialisé
"L’ingénierie de la protection sociale ne s’improvise pas", fait remarquer Adnane. Pour lui, il est important de mettre en place une école de formation en protection sociale pour "accompagner les Caisses de prévoyance sociale et les institutions qui gèrent les autres filets de sécurité sociale qui existent au Maroc".
Dixième défi : l’amélioration de la qualité des soins et des services
Le dernier défi auquel devra faire face le nouveau système de protection sociale est l’amélioration de la qualité des soins et des services offerts aux citoyens. Cette démarche doit être ébauchée par la révision, par le ministère de la Santé et de la protection sociale, des normes de qualité, notamment de l’arrêté ministériel sur les normes médicotechniques d’implémentation des cliniques privées qui date de l’année 2000. "Ce texte est extrêmement rudimentaire et ne peut aucunement répondre à des normes de qualité", se lamente Abdelaaziz Adnane.
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