Société
Recrudescence de la rougeole : la face cachée de l’iceberg
03/01/2025 - 10:32
Khaoula Benhaddou
Le Maroc a enregistré, depuis le mois d’octobre, 107 décès et plus de 19.500 cas de rougeole. Cette flambée des cas est due selon le ministère de la santé et de la protection sociale au non-respect du calendrier vaccinal. Cette cause pourrait avoir des répercussions lourdes sur la santé des enfants mais aussi sur le système de santé notamment avec la réapparition d’autres maladies.
Les pédiatres tirent depuis plusieurs mois la sonnette d’alarme sur la recrudescence des cas de la rougeole dans plusieurs régions du Royaume.
Pourtant, cette maladie avait disparue des radars des spécialistes de la santé depuis plusieurs années grâce à la vaccination comme le précise Dr Jalal Eloudghiri "Le Maroc avait presque éradiqué la rougeole grâce à une couverture vaccinale élevée, atteignant plus de 95 % des enfants. Cependant, ces dernières années, une recrudescence des cas a été signalée dans certaines régions, notamment rurales et périphériques".
Cette flambée des cas est due à plusieurs raisons notamment le non-respect du calendrier vaccinal comme explique le spécialiste: "Plusieurs raisons sont derrière cette flambée des cas notamment le non-respect du calendrier vaccinal, ce dernier restait souvent incomplet puisque beaucoup d’enfants ne reçoivent pas la deuxième dose du vaccin ROR (Rougeole-Oreillons-Rubéole), essentielle pour garantir une immunité durable. Cela est dû au manque d’information puisque certaines familles ne connaissent pas l’importance de compléter les vaccinations".
Et de poursuivre "parmi les causes de cette recrudescence on peut citer également la désinformation croissante qui circule sur les réseaux sociaux, alimentant des doutes sur la sécurité et l’efficacité des vaccins. Cela entraîne une hésitation vaccinale, même dans les zones urbaines où l’accès aux soins est pourtant plus facile"
Le médecin pointe du doigt d’autres causes comme les disparités géographiques et sociales "les zones rurales ou isolées, où les infrastructures sanitaires sont limitées, enregistrent une couverture vaccinale inférieure à la moyenne nationale sans oublier que les populations marginalisées ont moins accès aux campagnes de vaccination et aux centres de santé".
Covid a retardé la vaccination
Comme l’a souligné le ministre de la santé, le non-respect du calendrier vaccinal a été enregistré durant la période du Covid19.
Dans ce sens, Dr Eloudghiri explique que "Pendant la pandémie, de nombreuses campagnes de vaccination ont été suspendues ou perturbées, laissant un grand nombre d’enfants non vaccinés ou en retard dans leur calendrier. La priorité donnée à la gestion du COVID-19 a réduit les ressources disponibles pour les autres programmes de santé publique"
Un autre facteur peut selon le spécialiste participer à cette recrudescence, il s’agit de la mobilité et flux migratoires "Les flux de population, y compris les mouvements de réfugiés ou de travailleurs saisonniers, peuvent introduire des cas de rougeole dans des zones où l’immunité collective est insuffisante".
Conséquences sur le système de santé
La flambée des cas de la rougeole peut avoir des conséquences lourdes sur la santé des enfants mais aussi sur le système de santé comme l’explique le spécialiste "la recrudescence de la rougeole peut avoir des effets graves comme l’augmentation des décès infantiles. Même si la rougeole est évitable, elle reste mortelle sans traitement adéquat. Cette situation peut causer une saturation des structures de santé puisqu’une épidémie massive pourrait mettre à rude épreuve les hôpitaux et les centres de santé" explique le médecin qui alerte sur la réapparition d’autres maladies. "La rougeole affaiblit le système immunitaire, augmentant ainsi la susceptibilité aux infections secondaires. Je tiens à préciser que d'autres maladies comme la dengue, le chikungunya ou même la tuberculose multirésistante pourraient se propager en raison des changements climatiques et des mouvements de population"
Comment répondre à cette recrudescence ?
Pour faire face à cette situation, Dr Jalal El Oudghiri appelle à renforcer la vaccination en organisant des campagnes de rattrapage "je pense qu’il faut organiser des campagnes ciblées pour vacciner les enfants qui n’ont pas reçu les deux doses. Il faut également améliorer l’accessibilité et installer des unités mobiles pour atteindre les populations des zones reculées. Il faut également exiger le carnet de vaccination à l’entrée des écoles".
Le spécialiste appelle également à lancer des campagnes de sensibilisation "il est primordial de lancer des campagnes nationales d’information pour expliquer l’importance de la vaccination et lutter contre les fausses idées. Il faut collaborer avec des leaders communautaires et religieux pour encourager les vaccinations".
Ce n’est pas tout, le médecin appelle à renforcer la surveillance épidémiologique "à mon avis, il faut améliorer le système de notification des cas pour détecter et contenir rapidement les foyers épidémiques, il faut également investir dans des outils de suivi digital pour alerter les parents sur les dates de rappel vaccinal sans oublier de travailler avec l’OMS et l’UNICEF pour obtenir des vaccins et des financements supplémentaires" souligne Dr El Oudghiri qui insiste sur l’amélioration de l’accès en soin notamment en déployant des cliniques mobiles dans les zones rurales et en investissant dans les infrastructures de santé.
Quelles sont les maladies éradiquées grâce à la vaccination?
Le Royaume du Maroc figure parmi les pays leaders en matière de respect du droit des enfants à la santé. Conformément aux recommandations de l’OMS, le Maroc assure l’accès à une vaccination sûre, effective et gratuite dans l’ensemble des centres de santé à tous les enfants marocains comme le souligne Dr Eloudghiri "Le Maroc a réalisé des progrès impressionnants dans la lutte contre les maladies transmissibles, grâce à des politiques sanitaires ambitieuses, notamment le Programme Élargi de Vaccination (PEV). Ce programme, lancé en 1981, a permis de réduire considérablement l’impact de maladies graves, voire d’en éradiquer certaines. Cependant, la vigilance reste de mise pour maintenir ces acquis".
Et d’ajouter "parmi les maladies éradiquées ou presques éliminées au Maroc on peut citer la poliomyélite qui provoquait des paralysies irréversibles chez les enfants. Cette maladie a été officiellement éradiquée au Maroc en 1987, grâce à des campagnes de vaccination systématiques. Je peux également citer le tétanos néonatal. En raison des mauvaises conditions d’accouchement, cette maladie tuait des milliers de nouveau-nés chaque année. Le Maroc a obtenu le statut d’éradication en 2002 grâce à la vaccination des femmes enceintes et à la promotion des accouchements en milieu médicalisé".
Dr Eloudghiri rappelle que d’autres maladies comme la variole et la diphtérie ont également éradiqué "Bien que l’éradication de la variole ait été une initiative mondiale, le Maroc a contribué activement à son élimination avant l’annonce officielle de l’OMS en 1980. En ce qui concerne la diphtérie, grâce à la vaccination de routine, cette maladie respiratoire grave a été quasiment éliminée au Maroc".
Et de conclure "bien que la rougeole et la rubéole ne soient pas totalement éradiquées, leur incidence a considérablement diminué grâce à la vaccination systématique. Cependant, des cas sporadiques, notamment de rougeole, soulignent l’importance de maintenir une couverture vaccinale élevée. Pour cela, investir dans la vaccination et la sensibilisation n’est pas seulement une mesure préventive, mais une garantie pour l’avenir. Assurons-nous que le Maroc reste un modèle en matière de lutte contre les maladies transmissibles, protégeant ainsi les générations futures. La vaccination est un acte de responsabilité collective : protéger un enfant, c’est protéger une communauté entière".

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