Economie
Transferts de fonds: quand les MRE payent le prix du monopole
14/10/2021 - 22:00
Lina IbrizLa hausse record des transferts de fonds réalisés par les MRE fait l’objet d’une attention particulière de Bank Al-Maghrib, qui a mis en place une commission ad hoc pour étudier les raisons derrière cette hausse phénoménale, d’autant plus que les taux pratiqués par les banques demeurent élevés par rapport aux objectifs fixés.
"Pour les MRE, le problème des coûts nous préoccupe en permanence", a déclaré le Gouverneur de BAM, lors d’un point de presse organisé mercredi 13 octobre. "J’ai demandé au niveau des organisations internationales, puisqu’elles parlent de plus en plus de croissance inclusive et d’inclusion financière, à ce qu’elles-mêmes dénoncent ce qui est exagéré de la part de ces sociétés multinationales en ce qui concerne les coûts de transferts", a-t-il indiqué.
Cette hausse "reflète l’esprit de solidarité des MRE" et "les efforts doubles" qu’ils ont fournis en cette période difficile, souligne le professeur de Fintech à l’Université de Chicago, membre du Panel d’experts du Blockchain Observatory de l’Union européenne et fondateur du centre de recherche Remess.org, Inigo Moré. Néanmoins, derrière cette hausse, se cache un coût élevé qui alourdit davantage les dépenses des MRE, déjà confrontés aux effets économiques de la pandémie. "La hausse des transferts signifie en réalité la hausse des frais d’envoi, qui sont passés de 0 lorsque les émigrés pouvaient apporter l’argent eux-mêmes à 7% en moyenne", a noté Moré.
Quand les MRE payent le prix du monopole
Pour ce qui est de la gestion des envois de fonds, les opérateurs de transfert d'argent, (sociétés financières engagées dans des transferts de fonds transfrontaliers en utilisant soit leur système interne, soit l'accès à un autre réseau bancaire transfrontalier) dominent le marché.
Au niveau mondial, il s’agit d’un marché énorme, estimé par la Banque mondiale à 500 milliards de dollars et dominé par des sociétés américaines et dont une seule, Western Union, détient plus du double de la part de marché de son concurrent le plus proche. En Afrique, Western Union monopolise le marché. Selon une étude menée par Overseas Development Institute (ODI), Western Union et Money Gram contrôlent plus de 50% du marché dans plus de 30 pays et plus de 90% dans 10 pays.
"Ce qui se passe actuellement, c’est qu’il y a un monopole qui impose des coûts énormes et ce sont les émigrés qui sont en train de payer ces coûts. Aujourd’hui, il y a un problème, car tous les transferts passent par une seule société qui détient le monopole du marché et donc impose les prix. Et les MRE payent ce monopole", explique Moré.
Bien que dans certains pays il existe une offre diversifiée de services de transfert de fonds et que les clients peuvent choisir entre plusieurs banques et agences monétaires, le chercheur avertit que cette multitude d’acteurs ne reflète pas la réalité du marché.
"On peut regarder avec qui chaque banque travaille pour payer les transferts, et dans la majorité des cas on trouve qu’elles ne traitent qu’avec une seule compagnie", note-t-il. Et d’ajouter: "On ne parle pas des banques ou d’autres institutions monétaires qui payent les transferts, car ce ne sont pas elles qui effectuent les transferts. Ils ne sont que des agents intermédiaires, mais ce sont d’autres compagnies internationales qui gèrent le réseau, et dont une ou deux sont derrière tous les transferts et contrôle le réseau".
Mettre fin au monopole
La réduction des coûts de transfert d’argent figure parmi les objectifs de développement durable établis par l’Organisation des nations unies il y a une dizaine d’années. Afin de réduire les inégalités à travers le monde, l’ONU vise à réduire les coûts d’envoi d’argent à 3%. Un objectif qui reste loin d’être atteint, alors que l’Afrique du Nord demeure l’une des régions les plus chères en matière de transfert d’argent avec des taux allant jusqu'à 7%, ce qui épuise les poches des migrants nord-africains.
Dans ce sens, le Gouverneur de BAM, Abdellatif Jouahri, a souligné que "nous avons réussi à réduire les coûts sensiblement. Et puis, nous essayons que la concurrence joue à plein, et qu’il n’y ait pas d’ententes en ce qui concerne les conditions qui sont appliquées par les grandes sociétés qui interviennent dans le cadre des transferts".
En réalité, derrière ces coûts élevés de transfert d’argent, se cachent des accords d’exclusivité imposés par les multinationales contrôlant le réseau mondial, explique Inigo Moré.
Pour mettre fin à ce monopole, Etats et organisations internationales multiplient les efforts. "Trente pays au monde ont approuvé des lois interdisant aux banques et aux institutions financières de signer des contrats d’exclusivité. A partir de là, les coûts des transferts se réduisent", a conclu le chercheur qui estime que les cadres juridiques doivent être renforcés partout dans le monde pour mettre fin au monopole.
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