Société
Amal Bourquia : "En 34 ans le Maroc n'a réalisé que 600 transplantations rénales"
12/03/2021 - 15:45
Imane BenichouLa transplantation d’organes est un acte médical de la dernière chance, un acte de solidarité et de générosité qui peut sauver la vie à des tierces personnes porteuses de maladies, pour lesquelles il n’existe pas encore de traitements efficaces, affectant des organes vitaux comme le cœur, les poumons, le foie, les reins, le pancréas, les intestins. À l’occasion de la journée mondiale du rein, SNRTnews interroge Amal Bourquia, Professeur de médecine spécialiste en Néphrologie, experte en éthique et communication médicales, et présidente de l’association REINS, sur la situation du don d’organes au Maroc.
SNRTnews : Quelle est la situation du don de rein au Maroc ?
Pr Amal Bourquia : La première transplantation rénale avec donneur vivant a été réalisée au Maroc en 1986, cependant et à ce jour le Maroc n’a pu effectuer que 600 transplantations rénales, dont 60 à partir de sujets en état de mort encéphalique, soit environ 17 greffes par un million d’habitants depuis 1990. Des chiffres dérisoires comparés à la demande. L’analyse de ces chiffres, 600 transplantations rénales depuis 34 ans et près de 1.100 donneurs potentiels, permet de noter qu’ils ne traduisent ni le niveau médical du Maroc ni la générosité des Marocains. Au Maroc, un nombre sans cesse croissant de patients décèdent parce qu’ils n’ont pas pu être transplantés. Ils quittent ce monde sans qu’ils aient eu leur chance d’avoir une greffe qui pourrait les sauver. Les candidats éventuels au don d’organes après la mort sont aussi très rares au Maroc malgré les dispositions légales. On peut noter que la loi concernant la greffe d’organes a vu le jour en 1998 (loi n°16-98 relative au don, au prélèvement et à la transplantation). Mais très peu de Marocains se sont inscrits aux registres du don d’organes après la mort. A ce jour on ne compte que 1.100 personnes enregistrées sur le registre, dont plus de 700 à Casablanca.
Quels sont les efforts que vous déployez pour la sensibilisation au don ?
Tout d’abord, l’association REINS est la seule association au Maroc qui travaille pour la promotion du don d’organes en militant sur tous les fronts. Le don d’organes est un acte de générosité et un acte citoyen, permettant de sauver des vies, que l’Islam encourage et que la loi encadre de façon très précise et nous faisons tout pour le promouvoir dans notre société. Notre association a engagé de nombreuses actions depuis plus de quinze ans pour sensibiliser la population, mais également les professionnels de santé. Parmi ces actions, REINS a développé régulièrement des actions de communication et d’information pour être proche du citoyen et l’aider à faire son choix en ayant toutes les informations nécessaires. REINS a donc produit de très nombreux documents très variés touchant tous les aspects du don en langue française et arabe : des livres, des dépliants, des affiches...
Elle a aussi créé et gère de nombreux réseaux sociaux, dont le site web www.reins.ma qui fournit de nombreuses informations, et quatre pages Facebook, dont celle du « réseau marocain pour le don d’organes », a produit des films institutionnels et a participé à un film télévisé et plusieurs reportages…REINS a aussi réalisé des travaux de recherche pour évaluer la perception du don au sein de la population marocaine pour mieux guider ses actions. Pour soutenir ceux qui ont la volonté de faire le don, REINS a organisé les seules sessions de signatures du registre du don au niveau des tribunaux de première instance, notamment à Casablanca, Rabat, et à Tanger.
Dernièrement, l'association plaide pour le changement de la loi pour que les Marocains deviennent tous donneurs potentiels en dehors de ceux qui exprimeraient leur refus. C’est la seule voix actuelle qui pourrait aider à sauver les personnes en attente de greffe. Un militantisme dans ce sens paraît essentiel. Forte de son expérience et de ses actions inlassables tendant à promouvoir le don d’organes dans notre pays, l’Association REINS continue de plaider pour aider les patients dialysés à sortir de la dialyse par le développement de la greffe.
Qu'est-ce qui fait que les Marocains aujourd'hui ne s'inscrivent pas dans les registres de don d'organes ?
Cette situation nécessite une analyse profonde pour mettre l’accent sur les insuffisances et décupler les efforts pour augmenter le nombre de transplantations dans notre pays où le besoin est sans cesse en augmentation. Le Maroc connaît des difficultés de recourir au donneur vivant, et une rareté de donneurs en état de mort encéphalique. La méconnaissance de la part des patients des aspects médicaux, de la législation, du point de vue de la religion et la rareté de la discussion et de l’information sur le sujet pourraient expliquer en partie cette situation. Nombreuses études ont été réalisées par l’association REINS, mais sans jamais servir pour travailler à faire face à ces insuffisances. Comment alors amener les responsables, les décideurs, les scientifiques à se concerter pour faire concorder l’ensemble de paramètres ? Il est important de faire face à l’ampleur de la demande, la défaillance des moyens et de la logistique, l’insuffisance de la formation des soignants et de l’information de la population. Une évidence doit être formulée c’est que la dialyse ne doit rester qu’une solution d’attente.
Est-ce que vous ne pensez pas que le Conseil des Oulémas jouera un rôle de sensibilisation et d'orientation pour cette cause ?
En dépit des bienfaits du don d’organes et en ses vertus médicales et religieuses, le don d’organes au Maroc reste à la traîne. Confusion, anxiété, psychose, crainte vague, réticences psychologiques, autant de perceptions négatives qui entravent le développement du traitement par la greffe en général et rénale en particulier au Maroc. Les Conseils des Oulémas peuvent être d’un grand apport dans ce domaine cependant, et nous l’avons perçu avec des enquêtes, ces professions ont aussi besoin d’informations et de sensibilisation par rapport à ce sujet pour mieux aider et soutenir la population. C’est un combat national et on doit se concentrer sur cette catégorie pour la promotion du don et pour faire parvenir à notre population des informations juste sur ce sujet et véhiculer des messages prônant les valeurs de partage de l’Islam, de solidarité et de générosité vis-à-vis des patients dans le besoin d’organes pour sauver leurs vies.
Quelle est la procédure qu'il faut suivre pour devenir donneur au Maroc ?
Pour s'inscrire sur le registre des dons d'organes après la mort il faut se présenter au tribunal civil de première instance de la ville de résidence, munie de la carte d’identité nationale, s’adresser au responsable du registre du don, chargé par le président du tribunal pour remplir un formulaire et signer le registre qui sera par la suite validé par le juge en charge de cette tâche. Il est possible de choisir les organes à prélever et revenir sur la décision à tout moment.
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