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Electro-chaâbi en Egypte: le syndicat veut couper le son
05/11/2022 - 10:04
AFP"Celui qui mentionnera sur ses vidéos le mot +mahraganat+ sera immédiatement radié, ce mot va totalement disparaître de nos vies", a prévenu le chef du syndicat des musiciens Mostafa Kamel lors d'une récente conférence de presse.
En octobre, le même syndicat, qui dépend du ministère de la Culture, avait temporairement suspendu les permis de travail des artistes du mouvement "mahraganat" (qui signifie "fêtes" en arabe), véritable mode d'expression de la jeunesse sur un mix de musiques populaires et électroniques, bien loin des mélodies pop qui dominent le monde arabe. Et début 2020, le syndicat avait appelé "tous les établissements touristiques, navires de croisière, boîtes de nuit et cafés à ne pas faire affaire" avec les musiciens de ce genre musical. Mais rien n'y a fait, les chanteurs ont continué à monter sur scène devant des milliers de jeunes reprenant leurs entêtants airs auto-tunés.
Drague, rêve d'ascension sociale, ego trip et codes bling-bling, leurs paroles sont sur toutes les lèvres en Egypte où plus de la moitié des habitants ont moins de 25 ans.
Quand Mostafa Kamel a été élu, certains ont espéré que ce chanteur populaire, qui lui aussi parlait de romance adossé à des voitures décapotables dans ses clips, serait plus indulgent avec un genre régulièrement attaqué par l'establishment culturel. Mais il est resté sur la même ligne.
Il y aura désormais deux catégories pour les artistes égyptiens: ceux dont la voix sera jugée au niveau par le syndicat pourront prétendre au titre de "chanteur populaire", les autres tomberont dans la section "performance vocale".
Ceux-là seront convoqués tous les trois mois par le syndicat qui évaluera si leurs performances "respectent le syndicat, la patrie et les jeunes", a expliqué Kamel. Ils devront également "soumettre leurs textes au bureau de la censure du ministère de la Culture" et prêter serment de ne pas "contrevenir à la morale égyptienne", même s'ils performent à l'étranger.
"Donc si on veut parler de la vie, de notre quotidien, on doit attendre que quelqu'un nous dise comment le faire?", s'est emporté Moscow, chanteur de rap, un genre qui flirte avec les mahraganat en Egypte, dans une vidéo vue par des dizaines de milliers d'internautes. Le syndicat veut avoir la main sur l'écriture mais aussi forcer les chanteurs à "faire travailler des musiciens enregistrés auprès du syndicat", a martelé Kamel, dénonçant le chômage galopant dans les rangs de son syndicat.
Pour monter sur scène, les chanteurs de mahraganat devront s'entourer d'au moins 12 musiciens. Pour les rappeurs, six suffiront: "un pianiste, un bassiste, deux guitaristes, un batteur et un percussionniste", a détaillé Kamel.
C'est ce point en particulier qui a fait bondir les artistes car les mahraganat revendiquent fièrement d'être la musique des artistes sans moyens. Nés dans les quartiers populaires du Caire quand les logiciels gratuits de traitement de son sont apparus au début des années 2000, ils ont attiré ceux qui ont toujours été écartés des conservatoires et des écoles traditionnelles de musique savante arabe. Pour le critique Joseph Fahim, "le mépris pour les mahraganat affiché par les partisans du pouvoir du président Abdel Fattah al-Sissi issus de la classe moyenne découle d'un déni de soi".
Dans une tribune récente, il y voit "un refus de reconnaître que (les mahraganat) incarnent la majorité de la société, que c'est ainsi que les jeunes hommes parlent, s'habillent, pensent et aiment".
Car le rap et les mahraganat sont les deux styles musicaux les plus écoutés en Egypte depuis la "révolution" qui renversa Hosni Moubarak en 2011, incarnant une jeunesse festive et décidée à briser les carcans d'une société conservatrice. Et si dans leur pays --l'un des phares de la chanson arabe-- les mahraganat peinent à se faire officiellement reconnaître, l'une des figures de proue du mouvement, Hamo Bika, fait ces jours-ci salle pleine de l'autre côté de la mer Rouge... en Arabie saoudite!
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