Economie
Gouvernance hydrique: les défaillances mises en lumière par la Cour des comptes
15/03/2022 - 07:00
Lina IbrizLes défaillances de la stratégie de gestion de l’eau s’ajoutent aux pressions climatiques qui pèsent sur la sécurité hydrique du Maroc. Dans son rapport rendu public ce lundi 14 mars 2022, la Cour des comptes souligne qu’avec un potentiel en ressources hydriques estimé à 22 milliards de m3 par an, le pays figure parmi les 20 pays les plus "stressés" au monde en termes de disponibilité de ces ressources.
L’irrigation demeure l’activité qui consomme la part du lion des ressources en eau au Maroc, s’accaparant de jusqu’à 88% de celles-ci. La gestion des réserves en eau, quant à elle, relève un certain déséquilibre. Selon la Cour des comptes, un nombre de dysfonctionnements entravent la mobilisation, la valorisation et la préservation des ressources en eau de façon optimale. La planification, l’organisation et le financement du secteur de l’eau a également fait preuve de certaines limites.
Au niveau de la mobilisation et de la valorisation des ressources, un déséquilibre structurel interbassins est relevé au niveau des apports hydriques annuels, avec de grandes disparités temporelles et spatiales, note le rapport annuel de la Cour des comptes. Si la sécheresse frappe quelques bassins et menace d’autres, mettant ainsi en péril l’irrigation et l’approvisionnement en eau potable, certains bassins sont excédentaires et les eaux stockées dans les barrages sont parfois déversées en mer faute d’exploitation, ressort-il des missions réalisées par la Cour.
Sur ce même volet, le document met en lumière les dysfonctionnements au niveau de la mobilisation des ressources hydriques. D’une part, les eaux souterraines connaissent une surexploitation estimée à 1,1 milliards de m3 /an et conjuguée à la non-utilisation d’un volume de 1,7 milliards de m3 /an initialement stocké dans les barrages. D’une part, malgré l’amenuisement de la marge de manœuvre dans la mobilisation des ressources en eau conventionnelle, les eaux non conventionnelles se limitent à 0,9% de la totalité des ressources en eau mobilisées, précise le document publié par la Cour des comptes.
Préservation des ressources en eau, un bilan faible
Concernant la préservation des ressources en eau, le bilan d’inventaire et de sécurisation des biens du domaine public hydraulique est particulièrement faible et le recours aux mécanismes juridiques de protection demeure limité, souligne la Cour.
A cela s’ajoute le coût élevé de la dégradation des ressources en eau liée à la pollution, estimé à 1,26% du PIB, dont 18,5% est liée à la pollution industrielle hydrique. Dans le même sens, le nombre des préleveurs d’eau non autorisés est élevé puisqu’il a été estimé en 2017 à plus de 102.264 contre 52.557 préleveurs autorisés.
Absence d'action coordonnées et de synergie
Au niveau de la protection de ces ressources, l’absence d’une action coordonnée et cohérente entre les différentes instances intervenant sur ce volet constitue une entrave. Pour protéger ces ressources, le législateur a créé plusieurs corps de police de contrôle en prévoyant une police par milieu, par activité ou par organisme, rappelle la Cour. Et de poursuivre : Néanmoins, la multiplicité de ces corps, travaillant d’une manière cloisonnée, a limité leur efficacité. A cela, s’ajoute la faiblesse de leurs effectifs et l’insuffisance des moyens mis à leur disposition.
En outre, le secteur de l’eau est marqué par la multiplicité de ses acteurs publics et privés. La conciliation entre leurs besoins se heurte au problème de non-activation des principaux organes d’orientation et de coordination, notamment le Conseil supérieur de l’eau et du climat, les Conseils de bassins hydrauliques et les Commissions préfectorales ou provinciales de l’eau, ainsi qu’à l’absence d’un système d’information national de l’eau, lit-on sur le document.
Par ailleurs, la même source souligne que malgré le choix fait par le Maroc, depuis 2011, d’encourager la synergie et la convergence entre les secteurs de l’Eau, l’Agriculture et l’Énergie, force est de constater que l’approche sectorielle est toujours prédominante en termes de gestion de ces secteurs en l’absence d’une logique d’intégration territoriale et d’une cohérence globale.
Les recommandations
Afin de pallier les dysfonctionnements soulignés, la Cour des comptes a formulé une série de recommandations. Parmi celles-ci : la réalisation des projets matures de connexions interbassins, la gestion écosystémique pour mieux protéger les barrages contre l’envasement, l’encouragement du recours aux sources non conventionnelles, notamment le dessalement, la réutilisation des eaux usées et la collecte des eaux pluviales.
Aussi, la Cour a-t-elle recommandé de veiller à l’activation et au renforcement du rôle des instances de concertation, de coordination et d’orientation stratégique au niveau national, régional et local, et d’accélérer le projet en cours du système d’information intégré de l’eau.
En outre, la Cour a recommandé de développer les synergies « Eau-Énergie-Agriculture » permettant la convergence de ces trois secteurs, leur intégration territoriale et l’alignement de leurs stratégies.
Au niveau du financement du secteur, la Cour appelle à une révision du modèle économique et financier actuel afin d’en assurer la viabilité en tenant compte de la raréfaction croissante des ressources en eau, du caractère très capitalistique des investissements et des contraintes d’ordre social.
Devant les difficultés de financement constatées, le recours au partenariat public-privé devrait être davantage développé, eu égard au nombre limité de contrats relevés à ce jour. Le recours à ce moyen devrait tenir compte des risques et défis liés plus particulièrement au financement, à la concurrence, à la réglementation et à l’expertise.
Enfin, la Cour a également mis l’accent sur la nécessité de veiller à l’amélioration de l’efficacité des investissements, notamment à travers l’adoption de modes de financement novateurs (PPP et autres).
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