Société
Hafsa Bint Al-Hajj, une poétesse andalouse qui marque toujours le Maroc
13/04/2022 - 23:42
Aïcha Debouza
L’épisode de notre série sur les femmes ayant marqué l’histoire du Maroc s’intéresse cette fois-ci à une femme exceptionnelle. Hafsa Bint Al-Hajj, dite Al-Rakuniyya, a été décrite comme un trésor enfoui dans les profondeurs du temps. C’est une grande poétesse sous le règne des Almoravides et dirigea à Marrakech l'éducation des princes almohades. Quelle est donc l'histoire de cette "poétesse à deux amants" qui a pu mener une vie libre malgré les critères de religiosité d’antan ?
Les biographes la décrivent souvent comme une femme éduquée, belle, noble, intelligente, écrivant des vers avec une grande facilité. Par son talent et sa culture, tout comme sa beauté, la protagoniste de notre histoire a pu occuper très tôt une place importante dans la cour des Almohades de Grenade et a marqué l’Andalousie du XIIe siècle. Selon la majorité des historiens, Hafsa Bint Al-Hajj dite, Al Rakuniyya est née à Grenade vers l’an 1135 et est morte à Marrakech en 1191.
Une "perle unique de son époque"
Ibn al Khatib, poète de Grenade (1313-1374) et homme politique, la qualifiait de perle unique de son époque, par sa beauté, sa distinction et son talent. D’autres auteurs l’ont déclarée incomparable par sa beauté, son esprit et sa renommée.
En effet, naître et grandir dans le cœur battant d’Al Andalous que fut Grenade au XIIe siècle signifiait beaucoup, d’un point de vue politique, religieux, mais également culturel et artistique. La chercheuse en histoire, Osire Glacier, le souligne d’ailleurs, dans son ouvrage "Femmes politiques au Maroc d’hier à aujourd’hui – la résistance et le pouvoir au féminin" (Éditions Tarik, 2012), en décrivant une ville où les parents "se préoccupaient du raffinement de l’esprit de leurs filles et leur enseignaient la poésie, la littérature et la musique". Hafsa n’y échappa donc pas, ce qui lui permit de développer tôt sa connaissance littéraire et de se forger une forte personnalité.
Hafsa Bint Al-Hajj est la fille d’un notable relativement fortuné de Grenade, d’origine amazighe, des environs du Tensift dans la région de Marrakech. Elle reçoit une éducation soignée, axée davantage sur les lettres que sur la religion. Ayant passé son adolescence alors que les Almoravides régnaient encore au Maroc et en Espagne, elle vit les aléas de la passation de pouvoirs violente entre les Almoravides et les Almohades et les bouleversements de cette période. Mais, si Hafsa est aussi connue, c’est par son histoire pathétique et romanesque.
Ainsi, sous les Almohades (1121 – 1269) qui prirent Grenade en 1154, elle se fit connaître sur la scène publique, tandis que le poète et aristocrate Abou Jaâfar Ibn Saïd fut épris d’elle. L’épisode le plus connu de sa vie est son amour et ses relations tumultueuses avec ce poète qui débutent en 1154, connaissent des hauts et des bas jusqu’à la mort de l’écrivain en 1163 et se montrent comme la cause directe de son exécution. Fils du seigneur de Qalat Yahsub, ce dernier assistait son père dans la gestion des affaires publiques. Cette relation donne lieu à un intense échange de poèmes affectueux entre les deux amants, qui ont été conservés jusqu’à nos jours. Ses amourettes ont été chantées de même par les poètes de leur groupe littéraire.
Plusieurs amants et une rébellion
Si la relation dure une dizaine d’années, elle n’est pas l’unique de Hafsa. Selon les historiens, la beauté de Hafsa est également à l’origine de la grande passion qu’elle provoque chez le gouverneur almohade de Granada, le prince Abou Saïd Othman, fils du khalife Abd al Mou’min qui s’installa à Granada vers 1155. À cette date, Abou Saïd Othman n’était qu’un adolescent. L’historienne Osire Glacier confirme que cette femme eut plusieurs amants sans jamais s’en cacher, même qu’une partie importante de ses écrits furent un véritable "éloge à l’amour et à la sensualité".
Officiellement, Hafsa n’a pas donné suite aux sentiments du gouverneur, mais elle a quitté son amant Abu Jafar. Cette situation serait à l'origine d'un triangle affectueux conflictuel. Abu Jafar, qui avait été l’ami et le secrétaire du prince Abu Saïd, a fait de celui-ci objet de ses poèmes satiriques, et a fini par prendre part à une rébellion politique contre le gouverneur, raisons pour lesquelles, celui-ci l’a fait emprisonner et finalement crucifier durant l'année 1163, à Malaga.
Hafsa pleure ainsi la prison et le décès de son amant dans des vers poignants et a porté l’habit de veuf pour lui, malgré les menaces du gouverneur. Elle se retire de la cour, en abandonnant l'activité poétique et en se consacrant exclusivement, à partir de cette époque, à l'enseignement. Elle vit de cette manière pendant une grande partie de sa vie, jusqu'à ce que, vers l'année 1184, elle accepte l'invitation du Calife Abu Yusuf Yaqub al-Mansur, pour diriger à Marrakech l'éducation des princes almohades. Où elle reste jusqu'à 1191, l’année de son décès.

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