Economie
Une loi de Finances rectificative serait-elle nécessaire ?
22/02/2022 - 12:33
Lina IbrizLa loi de Finances au titre de l'exercice 2022 table sur une croissance économique de 3,2% et un déficit du Trésor de 5,9% du produit intérieur brut (PIB). Ces objectifs ont été fixés sur la base des hypothèses d'une récolte céréalière de 80 millions de quintaux (Mqx) et d'un prix moyen du gaz butane de 450 dollars/tonne. Aujourd’hui, avec une année de sécheresse marquée par des précipitations qui ont atteint à ce jour 75 mm, enregistrant ainsi un déficit de 64%, et avec un prix du gaz butane qui atteint 854 dollars la tonne, ces hypothèses semblent ne plus tenir la route.
"Nous attestons à des changements majeurs qui touchent même à la structure de loi de Finances", affirme le fiscaliste et ancien président de l'Université de Settat, Mohamed Rahj. "La structure de la loi de Finances telle qu’elle a été votée n’est pas en mesure de faire face à ces urgences. La loi de Finances actuelle ne prévoit pas des mesures de soutien adaptées au contexte actuel, à part des dépenses accidentelles pour 1 MMDH qu’on programme chaque année", soutient-il.
Cette thèse est également soutenue par Atmane Dkhissi, enseignant chercheur à la Faculté d'Economie et Gestion (FEG) de l’Université Ibn Tofail à Kénitra. "Certainement, le prolongement des impacts de la pandémie et l’impact négatif de la sécheresse vont avoir un impact significatif sur les différents équilibres macroéconomiques surtout sur les équilibres des finances publiques par rapport aux objectifs qui ont été préalablement fixés. Face à une telle situation, les hypothèses sur lesquelles reposait la loi de Finances 2022 deviennent caduques et donc il va falloir les revoir", estime-t-il.
Ainsi, bien qu’elle ait tenu compte de la hausse des cours mondiaux des produits pétroliers et autres et des pressions inflationnistes, la loi de Finances 2022 reflétait tout de même un certain degré d’optimisme, qui ne pourrait tout de même pas persister face à la conjoncture actuelle, estiment les économistes.
"Revoir les priorités"
Pour faire face aux conditions économiques et sociales actuelles tout en maintenant un certain équilibre, le gouvernement serait mené à considérer des modifications au niveau du budget de l’Etat et l’adapter à la nouvelle donne.
"Vu le contexte national actuel marqué par la persistance de la crise sanitaire de la Covid-19 et de ses répercussions économiques ainsi que par le manque pluviométrique puisque les précipitations cette année ont été très faibles comparativement à la moyenne nationale et même aux années précédentes, il serait nécessaire de revoir les priorités. Il y a certaines priorités qui ont prévalu lors de l’adoption de la loi de Finances 2022 et qu’il faudrait revoir aujourd’hui", estime Atmane Dkhissi.
La sincérité budgétaire exige la pertinence des hypothèses qui président à la préparation de la loi de Finances, et la présentation sincère au niveau de la loi de Finances de l'ensemble des ressources et des charges de l'État, tel que stipulé par l’article 10 de la Loi organique relative à la loi de Finances (LOF).
Par conséquent, "juridiquement parlant, le gouvernement aura l’obligation de revoir ses priorités par principe de sincérité budgétaire et que le gouvernement est tenu de respecter en matière de finances publiques. Cela signifie que les lois de Finances doivent présenter de façon sincère l’ensemble des ressources et l’ensemble des charges de l’Etat et que cette sincérité s’apprécie compte tenu des informations disponibles au moment de l’élaboration de la loi de Finances", explique Dkhissi.
Et d’ajouter: "Au moment de l’élaboration de la loi de Finances 2022, toutes les informations n’étaient pas encore disponibles et on ne pouvait pas prévoir exactement à quoi ressemblerait l’année agricole par exemple. Par conséquent, et par respect du principe de sincérité, le gouvernement sera tenu de revoir les hypothèses sur lesquelles reposait la loi de Finances 2022"
Répondre aux urgences
Si, d’une part, le gouvernement serait tenu donc par la constitution et la LOF à revoir certains aspects, sinon la totalité, de ses comptes, les conditions actuelles l’obligent, d’une autre part, aussi à répondre à des urgences économiques et sociales.
Selon Mohamed Rahj, fiscaliste et ancien président de l'Université de Settat, "la hausse des prix constitue une des urgences majeures à gérer. C’est vrai, le marché international en est pour quelque chose, mais le gouvernement est là pour faire face aux crises. L’urgence actuelle est de protéger le pouvoir d’achat des ménages en venant en aide au milieu rural et en en prévoyant des aides aux ménages".
Par ailleurs, il faudrait venir en aide au secteur du transport, estime Rahj, puisque toute augmentation des produits pétroliers se répercute directement sur les prix de transport et automatiquement sur les prix des marchandises.
A ce niveau, "l’Etat a deux choix : soit abandonner une partie des impôts et taxes qui frappent durement les produits pétrolier et qui représentent en général presque la moitié du prix facturé à la station d’essence, ou bien si l’Etat ne veut pas abandonner cette recette qui reste importante pour le trésor, il faudra prévoir un système de subvention tel que celui en place avant 2013", souligne le fiscaliste.
Contexte difficile
Si des modifications s’avèrent nécessaires pour répondre aux urgences de la conjoncture actuelles et que l’Exécutif est mené à revoir le budget de l’Etat, la loi prévoit la possibilité de l’élaboration d’une LF rectificative.
"On aurait, à ce qui paraît une mauvaise année agricole qui va se répercuter négativement sur le PIB et donc sur le taux de croissance. Le taux de chômage augmenterait puisque le secteur de l’agriculture emploie une grande partie de la population active et contribue à la création d’emplois. Les prix des produits pétroliers tels qu’ils ont été prévus dans la LF 2022 ont été multipliés par trois, donc comment on va faire pour la subvention du gaz butane, alors que pour tous les produits subventionnés une enveloppe de 16 MMDH a été prévue? Cette enveloppe ne serait pas suffisante pour couvrir les subventions", renchérit Rahj.
Et à lui de poursuivre: "Le gouvernement aurait à gagner sur le plan politique en proposant une LF rectificative, d’autant plus que c’est prévu par la constitution et par la LOF, c’est de présenter une nouvelle loi".
Néanmoins, "tant qu’on n’a pas des estimations de ce que seraient les indicateurs macroéconomiques et les indicateurs des finances publiques, et tant qu’on n’a pas des chiffres exacts, il serait très difficile de savoir s’il faudra présenter une loi de finances rectificatives", ajoute Dkhissi, qui précise que "c’est vrai qu’en 2020, une loi rectificative a été adoptée, et certes la situation est assez compliquée cette année, mais le contexte économique et social d’aujourd’hui, bien qu'il soit difficile, reste incomparable à ce qu’on a vécu en 2020".
En tout cas, selon cet économiste, "si on s’éloigne beaucoup de ce qui a été fixé préalablement au niveau de la loi de Finances 2022, on n’aura pas le choix et il faudra aller vers l’adoption d’une loi de Finances rectificative. Si on reste dans des proportions correctes, dans ce cas-là, on n’ira pas jusqu’au point d’adopter une loi rectificative".
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