Société
Découverte à Oued Beht: le plus ancien complexe agricole en Afrique du Nord-Ouest révèle une société néolithique avancée
25/09/2024 - 17:08
Mohammed FizaziÀ Oued Beht, près de Khemisset, une découverte archéologique exceptionnelle révèle le plus ancien et vaste complexe agricole jamais documenté en Afrique, en dehors de la Vallée du Nil.
Une équipe internationale de chercheurs a découvert à Oued Beht, près de Khemisset, le plus ancien et vaste complexe agricole jamais documenté en Afrique en dehors de la Vallée du Nil. Datant du Néolithique, ce site archéologique de près de 10 hectares confirme le rôle crucial du Maghreb dans l'évolution des sociétés complexes en Méditerranée et en Afrique du Nord. Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue Antiquity.
Une découverte qui réécrit l'histoire du Néolithique en Afrique du Nord
Le projet, mené conjointement par l'Institut National des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine (INSAP) du Maroc, l'Institut des sciences du patrimoine culturel du Conseil National de la Recherche en Italie (CNR-ISPC), le McDonald Institute for Archaeological Research de l'Université de Cambridge et l'Association Internationale d'Études Méditerranéennes et Orientales (ISMEO), a mis au jour une société du Néolithique final (3400-2900 avant l’ère chrétienne) jusqu'ici inconnue.
Le professeur Youssef Boukbot, archéologue à l'INSAP et co-directeur du projet, a déclaré à SNRTnews: "Il s’agit d’une découverte majeure, car les sociétés préhistoriques d’Afrique du Nord avaient un mode d'habitation troglodytique, les communautés étaient donc limitées à une vingtaine de personnes. Alors que cette découverte indique qu’une communauté ayant vécu en 3400 av. J.-C. habitait en plein air, dans un espace qui s'étend sur 10 hectares, soit de la taille d’une ville grecque comme Troie".
Des preuves d'une société agricole avancée et structurée
Les fouilles ont révélé des restes de plantes et d'animaux domestiqués, ainsi qu'un riche ensemble d'artefacts comprenant des récipients en céramique polychrome, des haches polies, des meules et des outils en pierre taillée. "Contrairement aux populations troglodytiques, dont l’activité agricole était limitée, cette communauté pratiquait de l'agriculture intensive à des fins commerciales", a expliqué Boukbot. Cette agriculture intensive est attestée par la découverte de nombreux silos souterrains utilisés pour le stockage des récoltes.
Ces silos, probablement les premiers de ce genre en Afrique du Nord, témoignent d'une technique de conservation avancée pour l'époque. "Les fouilles ont indiqué qu’ils avaient également développé une formule de conservation, sous forme de silos souterrains – formule toujours utilisée au Maroc de nos jours sous le nom de Matmora", a précisé le professeur Boukbot.
L'ampleur du site et la sophistication des artefacts suggèrent que cette communauté était non seulement nombreuse, mais également connectée à d'autres groupes. "La communauté vivant sur le site aurait été connectée à d’autres petits groupes qui exploitent le sel gemme, qui était à l’époque et a continué à être jusqu’à l’époque médiévale, une ressource d’une grande valeur ", a indiqué Boukbot. Le sel gemme et les graines étaient synonymes de richesse et de prospérité, ce qui suggère une activité commerciale développée pour l'époque.
De plus, la présence de sites contemporains présentant des caractéristiques similaires dans la péninsule ibérique, où des objets en ivoire et des œufs d'autruche ont été retrouvés, suggère des connexions claires avec les régions africaines. Oued Beht confirme ainsi le rôle clé joué par le Maghreb dans le développement des contacts et des réseaux d'échange entre l'Afrique et l'Europe durant le IVe et le IIIe millénaire avant notre ère.
Une lacune dans la connaissance enfin comblée
Cette découverte est particulièrement significative car elle concerne une période peu documentée de la préhistoire de l'Afrique du Nord-Ouest. Bien que l'importance de cette région soit largement reconnue pour le Paléolithique, l'âge du Fer et la période islamique, il existait jusqu'à présent un manque significatif de connaissances pour la période entre 4000 et 1000 avant notre ère.
Les auteurs de la recherche soulignent : "La découverte du site d'Oued Beht au Maroc démontre que cette lacune dans la connaissance n'est pas due à un manque de preuves archéologiques, mais plutôt à une attention limitée jusqu'à présent accordée à ces régions et, en particulier, à ces phases historiques".
Des fouilles prometteuses pour l'avenir
Trois missions de fouilles ont été effectuées sur le site archéologique en 2021, 2022 et 2023. "Les fouilles n’ont concerné que 200 mètres carrés du site archéologique mais ont toutefois permis de réaliser des découvertes importantes", a souligné le professeur Boukbot. Les sondages effectués ont permis d’identifier des milliers de silos et greniers souterrains, suggérant que le site recèle encore de nombreuses surprises.
Parmi les découvertes les plus remarquables figurent des produits de céramique raffinée, dont de la porcelaine teintée de peinture polychrome. "C'est une première pour une découverte archéologique de l’époque préhistorique, faisant que cette découverte modifie la compréhension et la perception des sociétés néolithiques d’Afrique du Nord", a affirmé Boukbot.
Pour sa part, le directeur de l’INSAP, Abdeljalil Bouzouggar estime que cette découverte contribue non seulement à une nouvelle compréhension de l’histoire du Maroc, mais aussi de celle de l’humanité “C’est le fruit de trois écoles différentes, l’ école britannique, très ancienne, école italienne, et l’école marocaine qui émerge et commence à percer” , a-t-il déclaré à SNRTnews
L’association des efforts de ces trois écoles ont permis d’obtenir cette découverte ayant des implications importantes, étant le premier complexe agricole en Afrique du Nord en dehors de la vallée du Nil, ajoute-t-il.
Et d’ajouterqu'il s’agit d’une découverte couvrant une période récente de la préhistoire, où l’activité économique humaine a changé de la prédation à la production d’aliments. “La proximité de la péninsule ibérique, dont la distance paléogéographique avec l’Afrique du Nord était plus étroite aurait favorisé les échanges économiques dans les deux sens. “Cette découverte conforte cette hypothèse”, souligne le professeur Bouzouggar ajoutant qu’ainsi, le Maroc aurait joué un rôle économique important pour l’époque, ayant dépassé l’espace local.
Les résultats de cette étude sont issus du Projet Archéologique Oued Beht (OBAP), un projet international de caractère multidisciplinaire lancé en 2021. Ce projet s'inscrit dans le cadre du programme de coopération scientifique signé entre l'INSAP (Maroc), le CNR-ISPC (Italie), le McDonald Institute for Archaeological Research de l'Université de Cambridge (Royaume-Uni) et l'ISMEO (Italie).
Cette découverte exceptionnelle ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche archéologique en Afrique du Nord. Elle invite à reconsidérer le rôle du Maghreb dans les dynamiques sociales, économiques et culturelles du Néolithique et souligne l'importance de poursuivre les recherches dans cette région. Comme le conclut l'équipe de chercheurs, "Oued Beht pourrait bien être la clé pour comprendre l'émergence des sociétés complexes en Méditerranée et en Afrique du Nord".
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