Politique
Influenceurs consultés par des décideurs publics: un choix à double tranchant
17/04/2022 - 10:44
Imane BenichouGrâce aux réseaux sociaux, une nouvelle tendance prend de l'ampleur. Celle des partenariats avec les influenceurs dans le cadre de stratégie de "Marketing d’influence". Car, ces personnes devenues célèbres revendiquent un grand nombre d’abonnés et les contenus qu'ils publient ne sont pas sans effets sur les personnes qui les lisent.
Alors qu’ils étaient depuis toujours acceptés en tant qu’acteurs non politiques qui jouent un rôle dans le marketing et l'image de marque, en raison de l'impact qu'ils exercent sur les décisions d'achat et les attitudes envers la marque de leurs abonnés, les influenceurs ont été récemment sollicités par des ministres pour aborder des questions liées aux politiques publiques et aux programmes gouvernementaux. L’invitation de la ministre du Tourisme, de l’artisanat et de l’économie sociale et solidaire, Fatima Zahra Ammor des influenceurs à la cérémonie de lancement du programme Forsa a été la goutte qui a fait déborder le vase autour de l’implication des influenceurs dans les politiques publiques. Ce nouvel aspect politique a en effet ravivé le débat.
Ghassan Benchihab, expert en marketing et communication digitale commente à SNRTnews: "Pour le Marocain, l’influenceur est une personne qui impacte positivement et qui dirige un changement et des idées pour influencer les personnes, alors que dans la réalité, le mot influenceur, que nous avons importé, ne veut pas dire cela. Il s’agit plutôt d’un canal de diffusion. C’est une personne qui possède une audience, pour sa célébrité, ses idées, ses accomplissements ou son contenu".
"En tant que marqueteur, je suis intéressé par l’audience de cet influenceur pour accéder à ma clientèle. Il n'est pas nécessaire que tout le monde soit d'accord ou en désaccord avec son contenu. Une personne avec un million d’abonnés est une personne qui a un million d’abonnés qui s'intéressent à ce qu'elle fait", précise-t-il.
Interpellé sur le rôle que peuvent jouer les influenceurs dans les politiques publiques, Benchihab explique que pour le cas du programme Forsa, "il s’agit d’un programme destiné aux jeunes, des jeunes qui sont surtout présents sur Internet et sur les réseaux sociaux. Et donc, pour les atteindre, il faut chercher les créateurs de contenu dans le même sillage du programme ou les influenceurs qui regroupent les personnes cibles susceptibles d'être intéressées par ce programme".
Cette vision n’est pas du goût de Radouane Aamimi, Professeur de Droit administratif, qui a largement critiqué cette démarche. "On ne peut nier aujourd’hui le rôle énorme des réseaux sociaux dans la promotion de projets, c'est évident", fait-il savoir. Cependant, Aamimi estime que "les politiques publiques ne peuvent pas être traitées selon la logique de l'entreprise, qui a besoin d'influenceurs pour intervenir et la promouvoir de cette manière. A mon avis, les politiques publiques doivent inclure une stratégie de communication menée par les institutions étatiques de manière claire et conforme à la nature des politiques publiques".
Le recours à des influenceurs dans le domaine des politiques publiques peut, toujours selon cet intervenant, poser certains problèmes. "Il s’agit notamment de la capacité de ces influenceurs à convaincre l’audience de l’efficacité de ces politiques publiques, d'autant plus qu'elles intègrent certaines données techniques qui peuvent hypothéquer le sort des acteurs concernés, en cas de promotion de données fausses ou erronées", explique-t-il à SNRTnews.
Pour Benchihab, afin de remédier à cette problématique, il suffit de bien choisir l’influenceur conformément aux objectifs et domaine d’intérêt du programme. "Ce qui est le plus intéressant au niveau professionnel, c’est que la personnalité de l’influenceur et le contenu qu’il présente doivent s’accorder et correspondre aux demandes que nous avons. Par exemple, si j’ai un programme sur l’éducation, je ne peux pas avoir recours à un influenceur au contenu cosmétique", détaille-t-il.
"Pourquoi j’ai eu recours à cet influenceur? Si c’est pour le marketing et la promotion de l’idée ou le programme, il n’y a pas de problème. Le problème se pose si cet influenceur est sollicité pour consultation et pour proposer des idées", souligne-t-il toutefois. "On ne peut pas consulter un influenceur. L’influenceur n’a pas le background académique pour qu’il soit consulté, même si son contenu est adapté à la thématique", tonne-t-il.
Le recours aux influenceurs pose également un autre problème, fait encore savoir le professeur de Droit administratif, Radouane Aamimi. "Un problème lié à la nature du public et à la nature des abonnés, en l'absence d'études sur ces influenceurs et sur les opérations qu’ils mènent, face au chaos qui règne dans ce domaine". "Le recours aux influenceurs leur confère une légitimité institutionnelle auprès de l'État malgré l'absence de cadre pour cette activité, ses dimensions, ses limites, les pratiques utilisées et l'étendue de leur légitimité. Aujourd'hui, si nous adoptons certains contenus des influenceurs aux textes juridiques, nous constaterons qu’ils les violent, voire que certains cas constituent des crimes", déclare-t-il.
Aamimi voit que le plus important dans les politiques publiques est qu'elles doivent d’abord reposer sur des études solides et des fondements caractérisés par la durabilité et la créativité, pour avoir des impacts réels, "étant donné que le processus de communication doit finalement prendre en compte la qualité et non pas la quantité".
"Je pense que le gouvernement peut directement recourir aux réseaux sociaux, que les ministres et les responsables peuvent communiquer directement via les chaînes de télévision officielles. Ces derniers disposent aujourd’hui de présence sur les réseaux sociaux et peuvent, à leur tour, transmettre des informations correctes et crédibles et apporter un caractère de légitimité et de crédibilité aux politiques publiques au lieu de laisser ces politiques publiques entre les mains de personnes dont nous ignorons les dimensions et détails de leur mission", conclut-il.
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