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Les clubs de la Botola peuvent-ils monétiser leur communication 2.0 ?
05/01/2021 - 12:05
Amine OubahaÀ l’instar des grands clubs européens, les clubs de football national investissent de plus en plus le monde virtuel. Prenant conscience de son importance, ils essaient de mettre en œuvre de nouvelles stratégies de communication 2.0. L’objectif ? Créer un lien de proximité avec leurs supporters et promouvoir leurs images au-delà des frontières. Ce défi porte-t-il ses fruits ?
Les clubs de football marocains marquent une forte présence sur la Toile. À l’image du Raja dont la page officielle sur Facebook compte plus de 4,7 millions d’abonnés sur Facebook ou encore de son rival le Wydad qui a dépassé la barre de 1.7 million de followers, les autres clubs s’efforcent eux aussi à rassembler leurs fans pour constituer une communauté virtuelle de supporters. "On est dans la bonne direction, aujourd’hui les clubs ont commencé à proposer des contenus variés et font des mises à jour régulières de leurs réseaux sociaux. L’objectif de ceux-ci est de rapprocher au maximum les supporters à l’équipe et créer un véritable lien entre le supporter et le club", explique Youssef Amenzou, le responsable de communication du FUS de Rabat.
Informer d’abord …
Aujourd’hui, que ce soit via Facebook, Twitter ou Instagram, les supporters accèdent facilement à l’information. Ils peuvent suivre les entraînements de leur équipe, regarder des matchs en streaming, mais aussi interagir avec l’actualité du club. Le digital offre également l’opportunité aux équipes de profiter de leur présence sur internet pour faire du marketing et éventuellement avoir de nouvelles sources de revenus.
Hormis l’aspect informatif, la communication digitale peut être également un outil par lequel les clubs lancent des campagnes de sensibilisation qui visent les supporters et les citoyens en général. C’est ce qu’explique un responsable au sein d’un club évoluant en première division, qui préfère garder l’anonymat : "la communication a trois objectifs : informer, faire du marketing des produits et sensibiliser. Elle permet aussi de jouer le rôle de leader d’opinion."
Aziz Garroud, spécialiste de la communication et du marketing digital dresse un bilan mitigé de la communication 2.0 des clubs marocains tout en affichant une position critique vis-vis du fond de leur travail. "La communication digitale au Maroc est encore à ces débuts. C’est vrai que dernièrement les clubs ont pris conscience de l’importance du monde virtuel, toutefois, la plupart d’entre eux adoptent toujours des méthodes traditionnelles. Ils n’ont pas de stratégies visant des objectifs à long terme. La présence des clubs sur les réseaux sociaux est basique. Il reste un grand travail à faire dans ce sens".
Monétiser l’information
Si l’objectif premier de la communication est de partager une information, le deuxième objectif est de rentabiliser cette information. Autrement dit, permettre aux clubs de générer des revenus suite à une campagne de communication aussi durable qu’elle soit. C’est cet aspect de la communication digitale des clubs qui semble faire défaut. Une première explication : le marketing digital au Maroc est en stade embryonnaire.
Et une deuxième explication : l’absence de stratégies long-termistes. Au début de la crise Covid-19, le Wydad et le Raja ont lancé des actions sur les réseaux sociaux pour s’engager dans la lutte nationale contre le virus. Les deux mastodontes du football marocains ont mis en vente en ligne des produits dérivés comme des écharpes, des étendards, et des pulls. Résultat : le Wydad, par exemple, a pu vendre 5100 maillots et 4500 drapeaux en moins d’une semaine.
Cette action engagée par l’équipe de communication des Rouge et blanc a permis au club de générer 2,1 millions de dirhams. Ce montant a été intégralement versé au Fonds spécial Covid-19. Un pas en avant vers la mise en place d’un véritable marketing digital qui reste insuffisant, car limité dans le temps, voire sporadique. "Maintenant les clubs doivent passer au Marketing digital à travers la vente en ligne, une newsletter d’une boutique en ligne, et l’amélioration de la WEB TV. En Europe, par exemple, des clubs proposent du contenu payant », précise Youssef Amenzou. Le Monsieur communication du FUS précise être sur le point de concevoir une stratégie marketing pour le club de la capitale. Une démarche qui fait face à un écueil de taille : le nombre restreint des supporters du club. Pour lui, "le Raja est le seul club qui peut compter sur ses 4 millions de followers pour générer des revenus financiers de ses réseaux sociaux"
Cap sur l’interaction
Cet avis ne fait pas l’unanimité. Pour Aziz Garroud les clubs marocains ne sont pas à même de monétiser leur présence sur le Web et pour cause, une interaction insuffisante avec les supporters. "Jusqu’à présent, aucun club marocain n’a la capacité de générer des gains financiers des réseaux sociaux, compte tenu de leurs politiques digitales défaillantes", précise-t-il. Selon lui, le nombre d’abonnés sur les réseaux sociaux n’aura aucune valeur ajoutée si les utilisateurs n’interagissent pas avec le contenu publié sur les pages. "Au Maroc, aucun club n’arrive jusqu’à présent à encaisser des revenus financiers des réseaux sociaux. Ce qui peut rentabiliser les postes et les publications c’est le nombre de réactions, même pour le cas du Raja qui détient un nombre record d’abonnés sur Facebook. On peut remarquer sur sa page qu’il y’a une grande différence entre le nombre d’abonnés et le nombre de réactions faite sur chaque poste", explique-t-il.
Il précise dans ce même sens que le Raja a profité de sa participation à la Coupe du monde des clubs en 2013 pour s’attirer une masse de « likes » des étrangers. "Ces followers étrangers n’interagissent pas beaucoup avec les publications », note-t-il. Résumé : il est important d’avoir un nombre élevé de followers, mais il est plus important d’interagir avec eux à travers un bon contenu et surtout un meilleur ciblage.
Problème de ciblage
Parmi les principes de base du marketing, le ciblage. Ceci se fait, entre autres, à travers l’utilisation d’un langage compréhensible par la cible … les supporters dans le cas des clubs de football. Il suffit de faire un tour sur les différentes pages officielles des clubs marocains sur Facebook pour constater un recours, de plus en plus fréquent, aux langues étrangères, notamment le français et dernièrement l’anglais, incompréhensibles pour la majorité des Marocains.
Sur les 10 dernières publications sur la page officielle du Raja entre le 02 et le 04 janvier 2021, 7 postes sont publiées en anglais. Sur ce point, les avis divergent entre ceux qui pensent que l’anglais est devenu indispensable pour la communication 2.0 et d’autres qui considèrent que les clubs qui communiquent en anglais sur les réseaux sociaux ne répondent pas aux besoins de leur cible directe, dont la majorité se trouve au Maroc.
L’anglais, un hic ?
Pour le dirigeant que nous avons contacté, l’usage de l’anglais comme langue de communication sur les réseaux sociaux peut ouvrir de nouvelles perspectives aux équipes marocaines :"L’utilisation de l’anglais est une très bonne idée. Ça va bien servir les clubs à l’avenir pour promouvoir leur image à l’échelle mondiale" souligne-t-il.
Même son de cloche chez Youssef Amenzou. Il s’explique :"Beaucoup de clubs utilisent l’anglais. On remarque que cette langue commence à prendre beaucoup de place dans la société marocaine. Beaucoup de Marocains parlent désormais en anglais qu’en français. Mais je pense que pour les clubs qui communiquent en anglais, ils ont une vision stratégique, ils veulent toucher les fans qui se trouvent en Europe ou bien dans d’autres pays ».
Une question se pose : si l’anglais est une langue universelle son utilisation comme principal outil d’expression et de communication sur les réseaux sociaux des clubs marocains ne constituera-t-il pas un obstacle à la communication ? Aziz Garroud répond par l’affirmative. "Auparavant les clubs marocains utilisaient l’arabe et le français, mais après ils ont voulu suivre un autre modèle en publiant en anglais. C’est une stratégie qui est vouée à l’échec. Parce que la majorité des supporters vivent au Maroc et en dépit de l’intérêt de plus en plus grandissant des jeunes à l’anglais, une grande partie de la population ne comprend même pas cette langue".
Le recours à la langue de Shakespeare pourrait aussi desservir la stratégie de communication des clubs. Selon Aziz Garroud, communiquer en anglais alors que la cible principale est majoritairement arabophone est une action qui pèsera négativement sur la stratégie de communication et créera un obstacle pour le développement digital des clubs.
En dépit de toutes les failles existantes au niveau de la communication et du marketing digital, plusieurs clubs marocains déploient de grands efforts pour améliorer leurs pratiques communicationnelles. Actualiser le fil d’actualité sur les réseaux sociaux, transmettre des images en temps réel de l’entraînement des joueurs, interviewer les responsables et porter leurs voix sur les réseaux sociaux, ou même concevoir une application mobile pour cibler davantage de personnes (le cas du Moghreb de Fès et du FUS) … sont entre autres des actions qui méritent d’être mises en avant … en attendant de professionnaliser un champ qui reste « peu exploité » au Maroc.
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