Economie
Les délais de paiement, vers un dénouement de la situation?
14/05/2021 - 12:10
Imane BenichouLargement évoquée comme obstacle au développement du tissu économique marocain, la question des délais de paiement et des comportements retardataires persiste toujours au niveau national, accentuant ainsi la pression sur la trésorerie des entreprises.
La pandémie a dû en outre contribuer négativement au prolongement des délais de paiement. "La question du délai de paiement se posait déjà avant même le début de la crise covid. Celle-ci n’a fait qu’accentuer cette problématique", a déclaré à SNRTnews, Amine Diouri, directeur Étude et Communication chez Inforisk, une société spécialiste du renseignement commercial sur les sociétés marocaines.
"Cette crise sanitaire a provoqué une réduction de l’activité, voire à son quasi-arrêt, pendant quelques mois. Cette situation a entraîné des difficultés de recouvrement des créances extérieures et des délais de paiement qui ont continué à s’allonger. À un moment donné, cette situation a forcément fragilisé davantage ces TPE. Aujourd’hui, elles sont en situation extrêmement difficile", explique Diouri.
Selon le premier rapport annuel 2021 de l’Observatoire des délais de paiement, les résultats issus du dispositif de Bank Al-Maghrib confirment la persistance des niveaux élevés de délais de paiement chez une majorité des entreprises marocaines.
Selon les calculs effectués en 2018 et rapportés par ce document, les niveaux de délais de paiement sont largement supérieurs aux délais réglementaires. Plus de 40% des entreprises marocaines se font payer dans des délais supérieurs à 90 jours de chiffre d’affaires (JCA) et plus de 30% règlent leurs fournisseurs au-delà de ce délai.
Pour Diouri, le rapport de l’observateur met en avant deux points. "Il y a d’un côté les délais publics et les paiements des marchés publics et de l’autre côté, la partie privée".
Un secteur public "exemplaire"
En termes de réduction des délais de paiement, l’État a donné l’exemple. Après plus de deux ans de mise en œuvre, la réforme relative aux délais de paiement et des intérêts moratoires, adoptée par le décret n° 2-16-344 du 22 juillet 2016 entré en vigueur le 1er janvier 2017 a permis d’atteindre plusieurs résultats positifs, selon ce rapport, notamment une tendance baissière des délais de paiement du secteur public.
En effet, le délai global moyen de paiement des marchés publics a été réduit pour l’État, de 146 jours en 2016 à 58 jours en 2017 pour tomber à 39 jours en 2018. Pour les collectivités territoriales, ce délai est passé de 142 jours en 2016 à 58 jours en 2017 et à 44 jours en 2018.
Une tendance baissière des délais de paiement a également été enregistrée au profit des établissements et entreprises publics, avec un délai moyen global passant de 55,9 jours en décembre 2018 à 42 jours en décembre 2019. Le délai moyen d’ordonnancement pour les marchés publics est passé de 140 jours en 2016 à 53,6 jours en 2017 et à 35,5 jours en 2018, fait savoir ledit rapport.
Pour l’Observatoire, cette tendance s’explique par des actions mises en œuvre par les opérateurs publics. "Toutefois, certains opérateurs publics doivent déployer davantage d’efforts pour réduire leurs délais de paiement et améliorer les relations avec leurs partenaires à travers des actions concrètes à même d’éliminer les zones grises de leur processus de paiement", souligne-t-on dans ledit rapport.
L’introduction du dépôt électronique des factures au niveau des établissements et entreprises publics fut une des solutions proposées. "De son côté, l’État essaie d’améliorer les choses, notamment sur les marchés publics. La facture électronique est une très bonne solution qui continuera à apporter de la transparence sur certaines zones d’ombre des marchés publics. C’est une bonne chose", a déclaré l’expert d’Inforisk.
Une PE face à une GE
Si les délais de paiement du secteur public s’inscrivent sur une tendance baissière, le niveau des délais de paiement des entreprises privées reste en revanche largement supérieur aux délais réglementaires.
À fin 2018, les délais des paiements des entreprises privées ont connu une moyenne globale de 152 jours de chiffre d’affaires en ce qui concerne les délais clients. Pour ce qui est des délais fournisseurs, ils ont atteint 105 jours d’achat, soit un dépassement de 45 jours par rapport au seuil réglementaire fixé par la loi à 60 jours.
"Aujourd’hui le vrai problème se situe au niveau de la relation inter-entreprises privées, avec un crédit inter-entreprises privées à hauteur de 400 MMDH aujourd’hui. L’idée est de dire aujourd’hui que la question des délais de paiement c’est une petite entreprise (PE) qui travaille avec une grande entreprise (GE)", précise Amine Diouri.
Cette problématique semble plus bénéficier aux GE qui obtiennent des délais de paiement longs auprès de leurs fournisseurs, du fait de leur pouvoir de négociation. Elle est légèrement similaire à celle des PME et diffère significativement de celle des TPE, qui subissent une double peine. Ces derniers supportent à la fois des délais clients longs et des délais fournisseurs courts.
Ce constat est confirmé par l’experte Diouri qui souligne que "plus les entreprises privées, travaillant en traîne, sont petites plus elles sont payées tardivement". Et de noter que "c’est le cas de la TPE avec une moyenne de 202 jours en 2018. Après, la TME et la GE ont moins de problématiques pour se faire payer".
"Nous sommes aujourd’hui dans une économie de TPE qui représente 90% de nos entreprises. C’est elle qui souffre le plus des délais de paiement", avance-t-il.
Solutions ?
Le rapport de l’Observatoire fait ressortir la nécessité de mener une "réflexion profonde et concertée" pour la mise en place de "solutions innovantes, adaptées et efficaces" à la problématique des délais de paiement du secteur privé, principalement la question de la recrudescence des dettes inter-entreprises, défavorable aux PME et aux TPE.
"Si des mesures doivent être prises, c’est au niveau de la relation inter-entreprises privées. La vraie problématique aujourd’hui, est comment peut-on réduire ce crédit inter-entreprises de 400 MMDH et comment peut-on faire en sorte que les TPE soient payés à temps, d’où l’importance des projets de loi qui sont en cours d'approbation", note le directeur d’Inforisk.
Il explique par ailleurs que "les lois 2011 et 2016 avaient prévus que si la grande entreprise ne payait pas la petite entreprise, cette dernière avait la possibilité de mettre des pénalités de retard". Or, dans la réalité, "c’est absolument impossible", pour la simple raison : "si vous êtes petit et que vous mettez des pénalités à votre grand client, forcément ce client ne travaillera plus avec vous et donc ce sera au détriment de votre chiffre d’affaires".
Cette situation, selon Diouri, n’a jamais fait aboutir. "Les lois 2011 et 2016 n’ont finalement jamais été appliquées, d’où l’idée du projet de loi actuel, de proposer d’instaurer des amendes aux entreprises mauvais payeurs".
L’Observatoire des délais de paiement (ODP) a approuvé, lundi 15 février 2021, l’amendement de la loi 49-95 relative aux délais de paiement, qui consiste notamment en l’introduction d’amendes à l’encontre des mauvais payeurs.
Notre interlocuteur précise en effet que la petite entreprise n’imposera pas d’amende à la grande entreprise, mais plutôt une tierce partie, "probablement l’État à travers le ministère des Finances". "Il s’agit d’un avancement remarquable", annonce-t-il.
"Maintenant, comment va-t-on opérationnaliser ce projet de loi ? Concrètement, comment peut-on détecter les mauvais payeurs pour leur infliger une amende ?", s’interroge-t-il.
Dans son rapport, l’Observatoire souligne la nécessité d’accélérer les réformes en cours notamment la mise en place d’un dispositif de sanctions et la dématérialisation des échanges aussi bien entre les secteurs public et privé qu’entre les opérateurs du secteur privé.
"À un moment donné, l’idée qui a été proposée est de passer par les rapports des commissaires aux comptes, mais finalement ça représente très peu d’entreprises. À peine 6.000 entreprises ont un commissaire aux comptes. Ça ne va pas suffire", précise-t-il, proposant ainsi l’idée du data du paiement, soit l’élaboration "d’une centrale relative au retard de paiement".
Pour régler cette problématique qui nuit à la trésorerie des TPE, le Maroc serait aussi prêt à mettre en place une « name and shame list », ou nommer et couvrir de honte. Il s’agit d’un moyen de dénoncer publiquement toute entreprise qui se serait mal comportée. "Nous donnons la priorité aux chantiers, mais nous allons sûrement nous acheminer vers la publication de cette liste efficace pour assainir les habitudes de paiement dans les milieux des affaires", avait annoncé Abderrahmane Semmar, patron de la direction des entreprises publiques et de la privatisation (DEPP) au ministère des Finances, à nos confrères de la Vie éco.
La question des délais de paiement a été mise au centre des préoccupations des acteurs public et privé, et a connu une véritable dynamique suite aux hautes orientations royales contenues dans le discours du 20 août 2018 et celles prodiguées lors du conseil des ministres du 10 octobre 2018.
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