Politique
Rabat et Berlin, les dessous d'une relation à haute tension
07/05/2021 - 21:54
Imane BenichouDécrit pour longtemps comme un long fleuve tranquille, les relations entre le Maroc et l’Allemagne vivent depuis le 1er mars un recadrage diplomatique inédit. Le Royaume du Maroc avait annoncé en ce jour la suspension de toute relation diplomatique avec Berlin sur fond de "malentendus profonds au sujet des questions fondamentales du Royaume du Maroc". Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l'étranger avait même appelé les départements d’État à suspendre tout "contact, interaction, ou action de coopération" avec les autorités et les fondations politiques allemandes.
Depuis ce premier épisode, aucune communication officielle -à propos de cette affaire- n'a été faite par les responsables marocains. Ceci augurait un dénouement de la situation. Or, hier, le ministère des Affaires étrangères a rappelé, pour consultations, l’Ambassadeur de SM le Roi à Berlin.
Selon le communiqué du ministère des affaires étrangères, l’Allemagne "s’est démarquée par une attitude négative sur la question du Sahara marocain". Et d'affirmer que "son activisme antagonique, à la suite de la proclamation présidentielle américaine reconnaissant la souveraineté du Maroc sur son Sahara, est un acte grave qui demeure jusqu’à présent inexpliqué".
De son côté, le ministère allemand des Affaires étrangères a indiqué ne pas avoir été informé par avance de la décision marocaine et "ne pas comprendre les accusations" proférées par Rabat, a rapporté jeudi l’AFP.
"Nous sommes d'autant plus surpris par cette mesure que nous faisons des efforts constructifs avec la partie marocaine pour résoudre la crise", a-t-on indiqué au ministère qui précise avoir "demandé une explication" aux autorités marocaines, ajoute aussi l’agence de presse française. Cette situation laisse en suspens plusieurs questions posées en mars sur les raisons de ce bras de fer diplomatique. Éléments de réponses.
Dossier libyen, le hic
"L’Allemagne n’a jamais été très pro-marocaine sur la question du Sahara. Une neutralité sur cette question existait et était considérée comme positive de la part de Berlin, alors que du côté marocain, cette attitude était très négative", explique à SNRTnews, une source proche du dossier, qui préfère garder l'anonymat.
Après la proclamation de Donald Trump de la pleine souveraineté du Maroc sur son Sahara, l’Allemagne avait en effet demandé une réunion à huis clos du Conseil de sécurité de l’ONU sur la situation au Sahara. Une prise de position synonyme d'acharnement et de dérive à une neutralité proclamée.
"Le Maroc et l’Allemagne ont bien réglé la question de la migration. Il y a eu une série d'ententes sur cette question et des développements très importants ont été observés pendant le règne de Merkel. Cependant, le Maroc n’a pas été invité à la réunion de janvier 2020 à Berlin qui devait accueillir tous les pays utiles à la résolution du conflit libyen", ajoute-t-elle. Il s'agit de la première cause de cette tension diplomatique entre les deux pays.
En effet, dans son communiqué du jeudi, le Royaume annonce "un acharnement continu à combattre le rôle régional du Maroc, notamment sur le dossier libyen" et accuse l’Allemagne d'écarter, "indûment, le Royaume de certaines réunions régionales consacrées à ce dossier comme celle tenue à Berlin".
Un problème économique
La deuxième raison relève de l'économique. "L’Allemagne ne considère pas le Maroc comme un marché économique essentiel", précise notre source. Et d'expliquer : "Berlin sait très bien que techniquement, elle ne peut pas investir facilement au Maroc parce qu’il y a trop de concurrence avec la France. Il s’agit-là principalement d’un problème franco-germanique".
À cela, s’ajoute un problème culturel et linguistique, note-t-elle, affirmant que le Maroc ne fait pas partie de l’agenda économique de l’Allemagne, au même titre que l’Algérie alors que "l’Allemagne partage beaucoup d’intérêts avec l’armée algérienne".
Même son de cloche chez une deuxième source proche du dossier qui préfère, elle aussi, rester sous couvert d'anonymat. "Lors de l’attribution du marché du tramway, l’Allemagne s’est plainte d’une concurrence déloyale. Elle a affirmé que l’offre était taillée sur mesure pour convenir à la France", fait-elle savoir. Ce n'est pas le seul marché gagné par la France et contesté par les Allemands.
Acharnement" médiatique
"L’Allemagne s’est également plainte du marché du TGV. En ayant recours à l’acharnement médiatique et au dossier du Sahara, l’Allemagne cherche à faire pression sur le Maroc pour acquérir le marché des énergies renouvelables au Royaume", explique encore cette source.
Des campagnes de diffamation ont en effet été menées par des médias allemands contre des hauts responsables marocains. Cette campagne s'est principalement focalisée sur des dossiers relatifs à des poursuites judiciaires pour agression sexuelle avec pour objectif de remettre en question l’indépendance de la justice marocaine et sa conformité aux procédures.
En plus de cette campagne de diffamation, l'Allemagne s'est aussi portée complice d'un quadragénaire résidant en Allemagne et qui publie régulièrement des attaques critiques sur le Royaume du Maroc sur les réseaux sociaux. "Les autorités de ce pays agissent avec complicité à l’égard d’un ex-condamné pour des actes terroristes, notamment en lui divulguant des renseignements sensibles communiqués par les services de sécurité marocains à leurs homologues allemands", lit-on dans le communiqué du ministère des Affaires étrangères.
Au vu de ces actes étalés sur plusieurs mois, Rabat semble avoir pris tout le temps nécessaire avant de rappeler son ambassadeur pour consultations.
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