Société
Ramadan : quand les réseaux sociaux s’invitent à table
19/03/2024 - 13:51
Khaoula BenhaddouA quelques heures de la rupture du jeûne, les réseaux sociaux, et plus particulièrement Instagram, sont inondés par les vidéos et les reels sur les préparations du ftour et les tables ramadanesques.
Les influenceurs et les amoureux des réseaux sociaux n’hésitent pas à mettre les petits plats dans les grands et sortir les plus beaux draps et ustensiles de cuisine pour dresser leurs tables.
Loin de se cantonner aux fourneaux, ces influenceurs utilisent les réseaux sociaux pour partager leurs repas, souvent offerts par des annonceurs, attirer l’attention de nombreux abonnés mais surtout recruter des nouvelles marques comme l’explique le sociologue Mouhcine Benzakour; "aujourd’hui, tout le monde a un smartphone et peut suivre ce qui se passe sur les réseaux sociaux. C’est ce qui facilite encore plus ce tsunami de publications et de partages qui augmentent durant le mois sacré où les influenceurs partagent et étalent leurs tables ramadanesques sans prendre en considération le sens même du mois sacré de ramadan qui est censé être un moyen de piété, un mois de partage… ".
Voyeurisme et paraître!
Dans la société de consommation dans laquelle nous vivons, l’explosion des réseaux sociaux augmente le désir du paraître chez une large partie de la population qui n’hésite pas à partager ses moindres gestes et faits pour attirer l’attention comme le souligne Karima, 32 ans; "mon Instagram est inondé par les vidéos des influenceuses qui partagent leur routine quotidienne, leurs astuces pour dresser la table et leurs recettes pour le ftour. Je ne comprends plus l’utilité de ces vidéos où elles se font belles pour prier, pour aller au marché et pour se mettre derrière les fourneaux. Et le pire, c’est qu’il suffit d’ouvrir une seule vidéo pour se trouver piégée dans un flot incroyable de publicité. A force de regarder ces contenus, je fais du voyeurisme malgré moi".
Pour le sociologue Mouhcine Benzakour, ce voyeurisme fait partie de l’impact psycho social des réseaux sociaux; "le fait d’étaler ses préparations durant le mois sacré et de chercher de paraitre à travers pas mal de comportements, y compris celui de ce qu'on appelle les tables ramadanesques a fait en sorte de devenir un fléau". Et d’ajouter "aujourd'hui, on sait pertinemment que tout le monde cherche à travers ces petites vidéos, le côté pécuniaire. Mais au-delà de l’argent, il y a aussi ce besoin de se sentir rassuré grâce aux nombres de vues qui augmentent, donc il y a aussi cette satisfaction du paraître. Il y a cet amalgame entre ce qu'on appelle le psychique, le psychosocial, le paraître aussi".
Si les influenceurs assouvissent leurs besoins du paraître et réussissent à tirer parti de l’essor des réseaux sociaux pour accroître leur notoriété et leur chiffre d’affaires, les internautes eux se trouvent piégés dans ces vidéos qui perturbent leur quotidien.
Regarder constamment ces vidéos peut avoir des conséquences négatives sur le bien être des citoyens qui vont tomber dans le piège de la comparaison sociale constante. Ce n'est pas tout, cela peut également créer chez eux un sentiment d'insuffisance, d'inadéquation, voire même de développer une faible estime de soi comme l'explique le spécialiste; "ce tsunami de vidéos et de reels de tables ramadanesques et des bons plans a un impact direct sur la vie des internautes. D’abord, ces vidéos sont en train d’ancrer cette Hogra chez eux. C’est le fait de se sentir inférieur à ceux qui étalent leurs signes de richesses et de bien-être. Je dirais même qu’il y a un manque de respect envers eux, on les sous-estime et on les écrase socialement". Et d’ajouter "les influenceurs qui se permettent de partager ces vidéos se moquent carrément de la vie des autres et pour moi, il y a quelque part un manque de civisme, un manque aussi d'attention et d'empathie envers les autres. Et cela touche au fin fond la stabilité sociale et la sûreté sociale"
Des répercussions sur le couple et sur les générations futures !
Friands d’images attrayantes et inspirantes, les internautes veulent présenter et préparer les mêmes tables, mais fautes de moyens, cette situation peut déclencher des conflits au sein de certains couples comme le précise Mouhcine Benzakour; "il y a des couples et des familles qui ne peuvent pas subvenir à leurs besoins. Que se passera t-il quand ils verront ces vidéos?". Et de souligner "ce n’est pas tout, ces vidéos ont un impact direct sur la future génération qui a compris qu’avec un simple clic, ils peuvent gagner de l’argent. Aujourd’hui, on a des jeunes moins de 18 ans qui se demandent pourquoi aller à l’école pour faire des études alors qu’il suffit de quelques vidéos pour gagner de l’argent. C’est un impact qui me touche personnellement parce que je reçois beaucoup d'enfants qui croient au trading, et qui n'ont plus ce grand souffle dont ils ont besoin pour faire des études à long terme", sonne le tocsin le sociologue.
Certes, ces partages peuvent paraitre anodins pour certains, mais les spécialistes analysent ces comportement sur les générations futurs et sur les populations à risque et ne laissent pas une miette sur ce qui se passe en ligne. Ces spécialistes qui précisent que les effets nocifs des réseaux sociaux dépendent de la culture, du niveau social et de la région géographiques, remarquent que les changements de ces générations ne se font pas uniquement dans les écoles et au sein de leurs familles mais résolument entre les lives, les stories et les reels.
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