Société
Rendez-vous visas Schengen: les intermédiaires s'enrichissent et les citoyens trinquent
13/09/2022 - 17:00
Mohamed BerradaVendredi dernier, le Consul général d’Italie au Maroc, Marco Silvi, s’est insurgé sur Twitter contre les pratiques frauduleuses des intermédiaires des rendez-vous de visa pour l’Italie. Dans une vidéo publiée sur le compte du consulat, il dit avoir "enregistré les pratiques de médiation généralisées pour obtenir des rendez-vous auprès du centre de services TLS Contact à Casablanca". Tout en dénonçant le caractère "illégal" de ces pratiques, il réaffirme la volonté du consulat à combattre par tous les moyens ces intermédiaires, avec la collaboration du centre de service TLS Contact. Ainsi, tous les rendez-vous pour les visas de rassemblement familial sont suspendus pour deux semaines, le temps de trouver une solution à ce phénomène.
Une annonce qui rappelle également l’alerte lancée par le Centre monétique interbancaire (CMI) en août, sur cette "arnaque qui prend beaucoup d'ampleur", selon le directeur Ismail Bellali. Ce dernier explique sur LinkedIn comment les victimes, qui communiquent volontairement leurs coordonnées bancaires à ces intermédiaires, se font arnaquer en transférant leur argent via "une opération de paiement pour une recharge de la mwallet" de l’escroc.
Le rendez-vous impossible
Nous avons essayé de nous connecter sur la plateforme de BLS Contact pour tenter de réserver un rendez-vous. Tous les créneaux débloquées par la société gestionnaire sont pris, jusqu'à la fin du mois d'octobre. Aucune information n'est fournie sur le jour et l'heure où les rendez-vous suivants seront ouverts au public. Cependant, nous affirment des personnes interrogées qui sont passées par cette expérience, "dès que ces créneaux sont ouverts, ils sont tout de suite pris d'assaut en l'espace de quelques secondes par des centaines de personnes, ce qui est logiquement impossible". Un constat qui interroge sur la manière dont les intermédiaires ont accès à l'information sur la mise en disponibilité des rendez-vous.
Nous avons interrogé des citoyens qui ont tenté d’avoir recours aux services de ces intermédiaires pour mieux comprendre leur mode de fonctionnement. L’un d’eux nous explique: "L’intermédiaire demande une somme de 800 dirhams par personne. En plus, je suis obligé de lui envoyer des photos de ma carte bancaire pour qu’il puisse l’utiliser au paiement des frais des services de BLS, Contact avant d'obtenir la confirmation du rendez-vous". Il a fini par laisser tomber.
La FMDC s'insurge
Malgré le caractère dangereux du recours à ces intermédiaires, de plus en plus de Marocains cèdent, face à la difficulté d’obtenir des rendez-vous. Contacté par SNRTNews, Bouazza Kherrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC), se désole sur le fait que le consommateur final soit délaissé face à des arnaqueurs bien organisés. S’il félicite l’initiative italienne de mettre fin à ces pratiques, il espère que les autres consulats lui emboitent le pas.
Sur les pratiques de ces sociétés de gestion des rendez-vous, Bouazza Kherrati dénonce deux aspects majeurs dans lesquels le consommateur est victime : le volet financier et le volet des données personnelles. Il explique: "financièrement, les Marocains sont obligés de payer ces sociétés des prix exorbitants pour des services de base, que le consulat pouvait facilement gérer à lui seul. De plus, nous n’avons aucune garantie que les données personnelles communiquées à ces sociétés soient protégées". Il s’interroge même sur la territorialité des lois auxquelles ces sociétés sont soumises: "nous ne savons même pas si elles opèrent sous le droit marocain, puisqu’elles exercent sur notre territoire nationale ou sous le droit européen, puisqu’elles sont mandatées par des consulats étrangers. Dans les deux cas, les textes de loi existent pour protéger le consommateur". D’où son appel à la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP) à se prononcer sur le sujet.
Par ailleurs, Bouazza Kherrati dénonce également l’inaction de ces sociétés face au comportement des intermédiaires. "Puisque ces intermédiaires existent et continuent d’opérer dans la durée, c’est qu’il y a convenance", affirme-t-il. Des pratiques qui risquent non seulement de nuire au consommateur, mais aussi aux salariés de ces sociétés. "Je veux citer l’exemple d’un salarié qui nous a contacté et qui est harcelé de la part d’un intermédiaire, pour l’obliger à prendre un rendez-vous pour une personne", affirme-t-il, ajoutant aussi que "le fait que le consommateur communique ses relevés de banque à des personnes qu’il ne connait pas l’expose à un très grand danger". Il espère enfin, au nom de la FMDC, que les autorités compétentes prennent le taureau par les cornes et établissent un cadre légal clair et précis en faveur du citoyen, pour mettre fin à ces abus une fois pour toutes, et conclut en affirmant que si "le Maroc a entamé la délivrance des visas électroniques en faveur des touristes désirant visiter le Royaume, les pays européens peuvent bien faire de même et mettre fin une fois pour toutes à ces abus. Tout est question de volonté"
Nous avons tenté de joindre TLS Contact et BLS Contact pour les interroger sur leurs efforts pour lutter contre ce marché parallèle. Nos correspondances sont restées lettre morte.
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