Politique
Sahara: l’Amérique Latine, région clé pour la diplomatie marocaine
22/08/2022 - 11:00
Mohamed BerradaDans son discours adressé à la nation ce 20 août à l’occasion de 69e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a notamment invité les partenaires du Maroc encore indécis à se départir de leurs positions ambiguës et à mettre fin à l’ambivalence dans une affaire cruciale pour le Royaume. Il a dans ce sens, salué certains pays d’Amérique latine et des Caraïbes "dont un grand nombre ont ouvert des consulats dans le Sahara marocain alors que d’autres ont décidé d’étendre leur domaine de compétence consulaire aux Provinces Sud du Royaume ", disait le Souverain.
Un passage qui en dit long sur l’importance dont bénéficie cette région du monde aux yeux de la diplomatie marocaine. Si l’Amérique Latine a été historiquement hostile à l’intégrité territoriale du Royaume, les relations entre le Maroc et la partie sud du continent connaissent un changement considérable depuis la visite de Sa Majesté le Roi dans la région en 2004. En se rendant au Mexique, au Pérou, au Brésil, en Argentine et au Chili, le Souverain a ainsi insufflé une nouvelle dynamique aux relations entre Rabat et ces pays dans les domaines politique, économique, commercial et culturel.
Une région très complexe
Seize ans après, quelle place occupe le Maroc en Amérique Latine? Mohamed Badine El Yattioui, ancien professeur des relations internationales à l’université mexicaine des Amériques de Puebla et actuellement en poste à l’Université américaine des Émirats arabes unis à Dubaï, estime que le réseau des ambassades continue d’avancer ses pions sur le chemin tracé par Sa Majesté en 2004.
Pour lui, la politique étrangère de ces pays vis-à-vis du Maroc et de l’Afrique est fortement liée à la configuration politique interne. Il décrit le continent comme étant "en pleine reconfiguration politique". Cette reconfiguration est illustrée par "la victoire historique de la gauche en Colombie, portée par la jeunesse urbaine, par l’élection de Pedro Castillo au Pérou, issu de la gauche, par la victoire au Chili de Gabriel Boric de l’extrême-gauche au Chili. Le Brésil attend toujours la confrontation entre Lula et Bolsonaro dans les prochains mois. Enfin, on a aussi le Mexique qui a un président de gauche également au pouvoir depuis 2018 jusqu’en 2024, et qui a réussi à maintenir une côte de popularité très élevé malgré le Covid ".
La prédominance de la gauche en Amérique Latine signifie-t-elle l’adoption d’une position unique par ses pays ? Bien au contraire, estime le politologue. Il insiste sur l’importance de traiter les pays au cas par cas, et de sortir de la schématisation gauche-droite en Amérique Latine, même si ce continent continue d’être très idéologisé. Il illustre ses propos par deux exemples de l’actualité récente, le Pérou et la Colombie : "le cas du Pérou est intéressant puisqu’on a assisté à deux changements de positions vis-à-vis du Sahara marocain avec le même président, avec la même majorité politique mais avec trois ministres des Relations extérieures différents. L’autre cas est celui de la Colombie, où le nouveau président a rapidement pris deux décisions importantes dans sa politique étrangère liées à son idéologie d’ex-membre de la guérilla : la réouverture des frontières avec le Venezuela et la reconnaissance de la pseudo rasd ".
Dans une région aussi complexe, quels devraient être les partenaires stratégiques du Maroc? Notre interlocuteur place en première position le Brésil, avec qui les relations sont très bonnes, et qui continue d’être le leader de la région, malgré la crise. " Ensuite, le Chili, poursuit Mohamed Badine El Yattioui, qui est très ouvert sur le Maroc, avec notamment son ambition de conclure un accord de libre-échange. L’Argentine peut être un partenaire important, en plus de Pérou. La Colombie reste un point d’interrogation ; c’est un pays qui aurait pu devenir important, mais cela parait difficile avec ce qui s’est passé" estime le professeur.
Il cite enfin l’exemple du Mexique, qui malgré sa position ouvertement hostile vis-à-vis de l’intégrité territoriale du Maroc, continue d’entretenir des accords importants avec le Royaume. De quoi espérer une évolution positive dans l’avenir? "Je reste pessimiste par rapport à ce pays, mais je l’espère bien, car avec le Brésil, le Mexique est le partenaire qu’il nous faut" tranche-t-il.
De l'importance du monde académique
Par ailleurs, quels sont les leviers de persuasion utilisés par le Maroc dans sa reconquête de l’Amérique du Sud ? Mohamed Badine El Yattioui en cite deux: la position du Maroc en tant que premier exportateur de phosphate dans le monde, et sa capacité à constituer un hub d’investissement entre l’Amérique Latine d’un côté, l’Afrique et le monde arabe d’un autre. Là encore, il cite l’exemple du Pérou : "Le communiqué péruvien (qui annonce le retrait de la reconnaissance de la pseudo rasd) est très clair. Le Pérou a compris que le Maroc pourrait lui fournir via le Groupe OCP une certaine quantité d’engrais. Comme pour d’autres pays latino-américains, le Pérou a également compris que le Maroc pourrait constituer un hub entre l’Amérique Latine et l’Afrique et l’Amérique Latine et le monde arabe. C’est un élément à prendre en compte dans la définition des relations entre le Maroc et ces pays ".
Enfin, il regrette le fait que le Maroc continue de négliger l’importance d’un troisième levier, qui est celui de la diplomatie parallèle dans les universités. "Nous avons une diplomatie officielle qui réalise un très bon travail avec ses homologues officielles, mais il y a une méconnaissance de la société civile et du monde académique et intellectuelle ", regrette-t-il. Il cite l’exemple de Miguel Rodriguez Mackay, le nouveau ministère des Relations extérieures du Pérou, qui a toujours milité dans le milieu universitaire en faveur du Royaume, avant même d’être nommé à la tête de la diplomatie de son pays. "Sa première décision est donc en cohésion avec ses positions exprimées à l’université", conclut-il. "Si on avait une meilleure compréhension du monde académique et universitaire, on aurait eu une meilleure connaissance du terrain et des personnalités influentes, ce qui peut constituer une ressource en informations non négligeable pour nos décideurs politiques".
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