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Vandalisme: est-ce la faute aux ultras?
21/03/2022 - 12:22
Aïcha DebouzaBien plus que des fans. La culture ultras s’est installée progressivement dans le monde des supporters de football. Que des milliers de gens parviennent simultanément à chanter une mélodie même simple et brandir leurs tifos, ne va pas de soi. Les groupes ultras ont leurs chefs d’orchestre. D’une manière ou d’une autre, ces supporters se sont imposés pour leur capacité à mener les chants. On les appelle les "capo", du mot italien signifiant "chef". Des personnages qui passent parfois tout le match dos à la pelouse, occupés à diriger et aiguillonner les chants de centaines, voire de plusieurs milliers de supporters.
C'est avant tout un "art"
"Appartenir aux ultras ne veut pas simplement dire encourager l’équipe et crier de manière archaïque. C’est tout un art et un état d’esprit que ne connaissent pas nombre de gens", explique Mehdi*, un des "capo" d'une équipe marocaine. En quête de visibilité, les membres des ultras "se donnent en spectacle et s’expriment de manière artistique que ce soit dans le domaine politique, artistique, sociétal ou encore économique. Les gradins sont bien plus que des chaises, ce sont pour nous, un lieu d’expression", détaille Mehdi. En effet, la logique partisane qui cimente les groupes de supporters, suppose que l’on affiche une hostilité à l’égard des membres rivaux, pouvoirs publics, etc. Dans l’univers du "supporterisme", on affiche plutôt une violence symbolique qui vise à faire peur et à faire taire les adversaires. Mais cette dynamique, peut-elle dériver vers un affrontement physique?
"Oui. Nous avons assisté beaucoup de fois à différents actes de violence et de vandalisme. Et les sources d’explication de ceci sont multiples et non limitatives. Mais une chose est sûre, ce n’est pas uniquement le stade que nous devons pointer du doigt", fait savoir Abderrahim Bourkia, sociologue et spécialiste des ultras. Pour l’expert, l’interdiction de stade pourrait être une sanction efficace. Cependant, il faut s’interroger sur la façon de l’appliquer. "Ce n’est pas une solution car les auteurs des actes de violence et de vandalisme peuvent sévir ailleurs, loin du stade. La violence existe partout : dans la façon dont nous nous comportons les uns avec les autres, nous en avons les meilleures preuves à la maison, dans le quartier, à l'école et dans la rue", ajoute le sociologue. Il affirme que c’est le fruit de divers facteurs, à leur tête, les facteurs sociétaux.
Ainsi, entre la rivalité allant jusqu’à la haine, et la conscience d’appartenir à un même mouvement, d’en partager les codes et les valeurs, naît la spécificité et l’ambigüité surtout de la scène ultra. Dans ce sens, le spécialiste des ultras détaille que dans le monde des supporters de football, deux modèles de "supporterisme" prédominent : le modèle anglais et le modèle italien. Le premier renvoie aux hooligans et le second aux ultras, se revendiquant du mouvement ultra italien largement politisé. Ils investissent les tribunes populaires situées derrière les buts, se tenant ainsi debout dans les virages. "Mais bien loin des modèles, comment font ces gens pour accéder aux terrains de foot avec des armes blanches ou encore des cailloux ? Ne doivent-ils pas d’abord être fouillés avant d’être autorisés à entrer ? Je veux bien admettre qu’un bon nombre d’adolescents soient violents à cause de plusieurs raisons, mais ne doivent-ils pas être surveillés comme à l’école, ou autre ?", s’interroge Rachid*, membre d’une cellule ultra du Wydad.
Pour les deux supporters, se montrer violent envers ces personnes n’est pas une solution pour laquelle le Maroc devrait opter. Et interdire le public d’assister aux matchs l’est encore moins. "C’est une sorte d’échappatoire qui permet aux supporters d’extérioriser toutes les peines et souffrances. Les virages sont des chorégraphies artistiques que nous préparons pendant longtemps et que nous organisons avec finesse. Je ne cautionne en aucun cas les actes de violence qui se produisent, mais il faut se poser les bonnes questions et savoir pourquoi ça arrive pour essayer d’arrêter ce genre de comportements violents au lieu de stigmatiser les ultras et les juger de barbares à chaque fois", s’exprime Mehdi. Il rapporte que lorsque les affrontements physiques entre les supportes de deux équipes sont prévus, l’information circule sur les réseaux sociaux, notamment par le biais des nombreuses pages Facebook des ultras. "Là encore, quand violence est prévue, tout le monde le sait à l’avance mais personne ne réagit", martèle Rachid.
Aux sources du mouvement
Le terrain de football semble donc offrir un espace propice au débordement et au débridement d’un cumul d’émotions. Pris au jeu de la compétition qui se déroule devant eux, les supporters se lèvent, chantent, s’agitent et participent au spectacle. Ils sont régulièrement qualifiés de "douzième homme" par différents acteurs du monde du football : journalistes, dirigeants de club, entraîneurs, joueurs, sponsors, etc. "Certains supporters en viennent à développer des formes de soutien qui font d’eux des supporters de plus en plus actifs, susceptibles de faire pression sur les principaux protagonistes du match. C’est le cas des groupes de supporters ultras qui apparaissent dans les stades italiens dès les années 1960. Contrairement aux supporters classiques, les ultras se positionnent en véritables acteurs du match de football en organisant l’animation : ce sont des professionnels du spectacle", explique l’écrivain sociologue Paul Yonnet dans son livre "Système des sports".
De son côté, Mickaël Correia, auteur en 2018 du livre "Histoire populaire du football", rappelle les origines immédiatement politiques de ces groupes. Il s’agit alors de jeunes issus d’un milieu ouvrier marqué par le mouvement autonome du "mai rampant" italien. Ces tifosi vont importer dans les stades les chants, slogans et drapeaux des manifestations contestataires. Les noms des premiers groupes italiens en témoignent : Fedayin, Tupamaros ou Brigate rossonere. Cette manière de soutenir son équipe s’exporte ensuite en Europe par le biais des rencontres et de fanzines tels que le mythique Supertifo. En France, le Commando Ultra est formé à Marseille en 1984, prélude à la création de groupes dans de nombreuses autres villes. Les pionniers effectuent de fréquents voyages en Italie pour étudier les chorégraphies et les techniques de leurs homologues, jusqu’à fonder des amitiés entre groupes dont certains perdureront plusieurs décennies.
De fil en aiguille, le mouvement s’est depuis répandu à travers le monde. Il s’est développé et continue aujourd’hui de rassembler quelques milliers de passionnés prêts à sillonner le pays et l’étranger par tous les moyens pour soutenir leur équipe. Souvent caricaturés, rarement étudiés, ces groupes de supporters organisés constituent aujourd’hui des acteurs incontournables de l’écosystème footballistique. Un mode de vie sans compromis, à mi-chemin entre passion sportive et engagement collectif. Car au final, les supporters violents, sont-ils des ultras, des désœuvrés ou petits "voyous" qui profitent des rassemblements aux abords des stades pour se défouler. "Nous ne pouvons malheureusement pas affirmer que ces forfaits sont produits par des personnes qui prennent en otage le football et son spectacle. Et nous ne pouvons pas affirmer, non plus, que seuls les supporters de football sont impliqués dans ces actes de violence", conclut le sociologue Abderrahim Bourkia en pointant du doigt, le rôle important que devraient jouer, la famille, l’école, les maisons de jeunes ainsi que l’association et les institutions.
* Les prénoms ont été modifiés pour garantir l'anonymat.
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