Société
8 mars et Covid: retour sur une période "très particulière" pour les Marocaines
08/03/2021 - 21:48
Imane BenichouLa femme marocaine célèbre cette année, la journée internationale des droits des femmes en cette période difficile, au moment où la pandémie de coronavirus continue de s'étendre et d’impacter la vie de millions de femmes de diverses manières. Elles sont des professionnelles de santé, des avocates, des femmes politiques, des journalistes, des femmes de ménage, etc, qui ont été en première ligne face à cette crise, et qui le sont toujours. Elles ont porté, chacune à sa façon, et de manière disproportionnée, le fardeau de cette crise.
Témoignages
« C’était une année très particulière et très riche en émotions. Sur le plan professionnel, j’ai vécu un véritable bouleversement », a déclaré à SNRTnews Docteur Laila Bichra, une dermatologue au sourire illuminant qui fait partie des nombreuses femmes médecins et infirmières qui étaient au cœur de la stratégie de lutte contre la pandémie de Covid-19 à la ville de Casablanca.
Exposée à un risque accru de contracter le virus, elle n’a pas lâché prise malgré cette expérience "inhabituelle" aux urgences. « Vu le contexte sanitaire mondial, tous les médecins, toutes spécialités confondues, et surtout les médecins du service public, ont été appelés à participer à la prise en charge des patients atteints de la Covid. D’habitude, j’exerce à l’hôpital de Hay Hassani et on m’a affecté au service des hospitalisations. Nous étions 16 médecins à enchaîner les gardes pendant huit mois. C’était des gardes épuisantes et très dures, autant sur le plan physique que sur le plan psychique. Nous avons fait de notre mieux pour bien prendre en charge nos patients », a-t-elle fièrement raconté.
« Nous avons vu des personnes s’améliorer et guérir de cette maladie, mais aussi d’autres mourir. Nous étions amenés à annoncer la mort d’un proche, d’un papa, d’une maman... C’était vraiment dur. En tout cas pour moi, je n’ai jamais eu à faire ça avant. C’était une expérience inhabituelle vu ma spécialité de dermatologue, une spécialité froide et tranquille où on n’est pas confronté aux urgences vitales », a-t-elle souligné.
Docteur Bichri a ensuite rendu spécialement hommage aux femmes de ménage de l’hôpital, très souvent oubliées et en mal de reconnaissance. « Elle ont fait un travail exceptionnel durant cette période. Je suis fière de ces femmes et du travail et service qu’elles ont rendus aux patients lors de cette crise. Elles nous ont accompagnés et soutenus. Même après avoir contracté le virus, certaines femmes de ménage ont continué à nettoyer les salles et à ranger les lits des patients avec qui elles partageaient les chambres», a-t-elle précisé.
Issue d’une famille de grandes avocates, Khadija El Amrani, avocate fondatrice du cabinet Khadija El Amrani Casablanca business & Family Law Firm et présidente de l’association W-Lady a déclaré à SNRTnews que cette période fut très dure. « La Covid est venue nous rappeler que nous sommes tous fragiles face à notre destin. C’est vrai que nous avons dormi dans un monde et nous nous sommes réveillés dans un autre monde ».
Après suspension des audiences au niveau des tribunaux, sauf quelques exceptions, El Amrani a vécu un ralentissement de ses activités. Toutefois, « à l’ouverture des tribunaux, nous nous sommes heurtés à une recrudescence de la quantité des divorces qui s’est faite d’une façon extraordinaire parce que plusieurs couples ont réalisé qu’il n’y avait pas d’entente et malheureusement ont choisi la voie de la séparation. Bien entendu, ceci a donné davantage de sens à la cause défendue par mon association », a-t-elle affirmé.
Cette situation a poussé la présidente de W-lady à poursuivre sa lutte en faveur de la parité entre les citoyens marocains dans le cadre de son association. « On s’est rendu compte que les incidences législatives du divorce sur l’enfant sont assez importantes et qu’aujourd’hui nous devons faire preuve de plus de travail pour ouvrir un débat sur les questions liées à la garde des enfants et des inégalités face aux droits parentaux qui sont fondamentales pour l’évolution de notre pays et de notre société », a souligné El Amrani.
« Il est inadmissible que l’homme, tout seul, soit tuteur légal. Aujourd’hui la femme doit être également considérée comme tutrice légale. Elle a atteint des postes et un niveau très importants. Il est regrettable de voir qu’elle reste tributaire de son ex-mari pour un certain nombre de décisions administratives concernant leurs enfants, à savoir le choix de l’école ou la sortie du territoire. Toutes ces questions sont fondamentales aujourd’hui et font partie des libertés fondamentales», a proclamé l’avocate. « La constitution de 2011 est venue avec une parité extraordinaire entre l’homme et la femme. L’article 19 est très clair. Il prévoit la parité et qu’homme et femme sont égaux devant la loi. Or, notre arsenal législatif ne prévoit pas cette parité dans pas mal de cause et de grandes questions comme la garde des enfants. Comment parler d’égalité si au moment où la femme qui se remarie perd la garde de son enfant, au moment où l’homme qui se remarie ne perd pas la garde », a-t-elle précisé.
Covid et inégalités
Les Marocaines, à l’instar des femmes du monde entier, se sont vu obligées de subir l’impact de cette situation. L’effondrement de l'économie mondiale a accentué les inégalités et les disparités et a enfoncé davantage de femmes dans la pauvreté. Perte d’emploi, poussée alarmante de la violence basée sur le genre et fardeau du travail domestique non rémunéré, charge supplémentaire de la scolarisation des enfants à domicile, l’impact de la pandémie est assez dramatique.
Selon une Analyse genre de l’impact de la pandémie COVID-19 sur la situation économique, sociale et psychologique des ménages, effectuée en février 2021 par le Haut-Commissariat au Plan en partenariat avec ONU Femmes, les ménages marocains dirigés par une femme, comparés aux ménages dirigés par un homme, ont rencontré plus de difficultés pour bénéficier des services de santé pendant le confinement sanitaire, du fait principalement de leur précarité.
En outre, un grand nombre d’enfants appartenant aux ménages dirigés par une femme ne suivent pas les cours à distance et les filles sont les premières à pâtir de l’annonce du report ou de l’annulation des examens. Les femmes se sont senties 3 fois plus surchargées que les hommes par les tâches ménagères. En effet, la conciliation entre les tâches ménagères et l’activité professionnelle a été plus difficile pour les femmes en raison de la charge accrue des responsabilités au sein du foyer, a rapporté la même source.
21% des femmes contre 16,4% des hommes ont déclaré souffrir plus souvent de la promiscuité dans le logement en période de confinement sanitaire. Selon un rapport qualitatif effectué en novembre 2020 par ONU Femmes et une vingtaine d’organisations de la société civile (OSC) marocaine sur les violences faites aux femmes pendant le confinement au Maroc, il a été déduit que le confinement a accru le temps que passent les femmes en situation de violence en compagnie de partenaires violents, a renforcé leur isolement social, et a réduit les marges d’action des pouvoirs publics et des OSC impliquées dans la prise en charge et la protection des femmes et des filles en situation de violence.
La crise actuelle constitue une opportunité de repenser le rôle des femmes dans l’économie et la société et de mobiliser pleinement son potentiel.
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