Société
Au Maroc, les infirmiers en mal de reconnaissance
09/03/2021 - 16:57
Ghita IsmailiS’il est un métier qui se trouve directement en première ligne de la lutte contre la Covid-19, c’est bien celui d’infirmier. Avec les médecins, ils sont exposés depuis plus d’un an au virus, au détriment de leurs vies personnelles. « Nous avons enchaîné le travail pendant plus d’un an maintenant. Nous étions pris pendant tous les évènements que les parents aiment passer avec leurs enfants, que ce soit ramadan, les fêtes religieuses, la rentrée scolaire, les anniversaires, les devoirs… Nous n’avions même pas le moral pour ça », nous confie Fatima Zahra Beline, infirmière au CHR de Moulay Youssef à Rabat et coordinatrice au sein du Mouvement des infirmières et des techniciens de santé (MITSAM).
Pour cette maman de trois enfants en bas âge, la période la plus difficile était les trois premiers mois de confinement. « Plusieurs infirmiers ont contracté le virus. Les équipes se rétrécissaient et la charge de travail devenait de plus en plus importante. Le travail qui était fait auparavant par vingt personnes pouvait être fait par cinq, voire moins des fois à cause du manque de personnel », se souvient-elle. À la maison, les choses n’étaient pas moins rudes. « J’ai été forcée de dormir à la maison à cause de mes enfants. Même s’il m’arrivait de faire demi-tour souvent pour revenir à l’hôpital et donner du renfort lorsqu’il y a un ou plusieurs cas déclarés. C’était difficile de concilier entre mes obligations de maman, épouse et infirmière », poursuit-elle.
Un devoir national
Ghizlaine, elle, a entamé sa carrière d’infirmière en plein pic de la pandémie au Maroc. À 32 ans, elle a eu son « premier contact avec le terrain et avec le nouveau coronavirus » à Sidi Yahya El Gharb. C’était en juin 2020. Dans cette localité de Sidi Slimane, un hôpital de campagne avait été monté pour accueillir les cas enregistrés dans le foyer de Lalla Mimouna. « Les conditions au début n’étaient pas favorables. Il y avait une chaleur insupportable et le personnel n’était pas suffisant pour prendre en charge les 1.200 patients qui étaient là », raconte-t-elle. « Mais cela ne nous a pas découragé, tout au contraire. Nous n’avions pas droit à la fatigue. Nous étions là pour une mission et il fallait l’accomplir. C’était un devoir national. Et Dieu merci, nous avons réussi à sortir tous les patients guéris, sans aucun décès », se félicite cette jeune infirmière.
« Mes enfants étaient conscients que le Maroc passait par une période de crise sanitaire et que leur maman est infirmière. Ils ont compris que c’était un devoir national. Et de mon côté, je me forçais de donner l’exemple à mes enfants », se souvient Fatima Zahra. Pour ses enfants, cette crise était même un « enseignement pratique des valeurs du civisme et du nationalisme ».
Après un mois de travail à l'hôpital de campagne de Sidi Yahya El Gharb, Ghizlaine a été placée en isolation dans un hôtel, avec le reste de l’équipe médicale pour éviter tout risque de contamination. Directement après ce répit forcé de deux semaines, elle a été appelée avec ses collègues en renfort à l’unité de réanimation consacrée aux patients atteints de Covid-19, à l’hôpital Moulay Abdellah de Salé, où il y avait là aussi selon elle un manque de personnel. « Les cas affluaient. Ils venaient en plus de plusieurs villes puisque c’était une unité régionale. Le matériel dont on disposait n’était plus suffisant. On essayait donc d’économiser son utilisation dans la mesure du possible. Les 11 lits de réanimation étaient occupés tout le temps. Dès qu’un patient en sortait guéri ou décédé, sa place était vite remplacée. Souvent on devait choisir parmi les patients les plus malades pour les placer en réanimation. C’était pénible », déplore-t-elle.
Un « simple merci »
Aujourd’hui, si le Maroc a réussi à se hisser parmi les 10 premiers pays champions de la vaccination anti-Covid 19, c’est en grande partie grâce aux infirmiers, estiment ces soignantes. « Quand la vaccination a commencé, nous avons cru que les choses allaient se calmer. Mais maintenant, nous devons travailler avec une certaine cadence pour atteindre une certaine performance en termes de vaccinations », soutient Fatima Zahra Beline. « La vaccination est un acte principalement infirmier. Si dans des grandes villes, ils se font aider par les autres professionnels de santé, dans les zones rurales et enclavées, ce sont les infirmiers qui se déplacent avec les moyens du bord », regrette-t-elle.
Depuis le débat de la campagne de vaccination au Maroc, plusieurs infirmiers non assignés à cette mission se sont portés volontaires pour pallier au manque de personnel. Selon la coordinatrice du MITSAM, chaque infirmier peut vacciner entre 100 et 200 par jour dans les centres de vaccinations. Aujourd’hui, comme Ghizlaine, elle demande à ce que leur travail soit reconnu à sa juste valeur. « Un simple merci sincère de la part du ministre de la Santé, l’opinion publique ou la société civile pourrait tout effacer, mais nous avons le sentiment qu’il n’y pas de reconnaissance vis-à-vis de notre travail », demande Fatima Zahra, assurant que c’est « l’amour du métier » qui les aide à « se tenir debout ».
« J’ai vu des infirmiers donner de leur temps pour rester avec les patients et leur apporter le soutien psychologique dont ils avaient besoin, en plus des soins médicaux habituels. Les patients étaient comme des membres de la famille », ajoute Ghizlaine. Et de conclure : « L’infirmier n’est pas seulement assigné à faire des injections ou des soins simples. Aujourd’hui, il peut faire le diagnostic et donner aussi son avis médical. C’est à nous, nouvelle génération, de changer cette image et de défendre nos droits ».
En novembre dernier, le ministre Khalid Ait Taleb avait promis de déployer des « efforts soutenus » pour combler le manque des cadres infirmiers. Selon lui, le nombre de postes ouverts au titre de l'année 2020 était de 2.410 postes. Il avait aussi affirmé que le « déficit en en ressources humaines » nécessitait une révision de tout le système de santé.
Un total de 102 nouveaux cas d'infection au coronavirus et de 304 guérisons a par ailleurs été enregistré au cours des dernières 24 heures au Maroc. Le nombre des vaccinés a lui atteint 3.961.941 personnes pour la première dose et 651.351 pour la seconde
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