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CAN Féminine: Samira Zaouli, cette pionnière qui aurait été si fière de voir les Lionnes atteindre le Mondial
16/07/2022 - 22:00
Nassim El KerfElle aurait eu 62 ans aujourd'hui pour assister à cette première historique, une première dont elle a tant rêvé. Samira Zaouli a longtemps milité pour offrir aux jeunes filles le simple droit au rêve, le rêve de pouvoir vivre de leur passion. Longtemps membre de la Commission femme et sport au sein du Comité national olympique marocain (CNOM), Samira était avant tout une grande militante de la cause féminine qui s'est battue pour que des tournois de football féminin soient organisés à l'occasion des fêtes nationales.
Samira aurait été fière de voir les Lionnes atteindre le Mondial. En plus de sa qualification, l’équipe nationale féminine a surtout gagné le respect de tous les Marocains, et tous ceux qui doutent de la capacité de la femme marocaine à se surpasser dans tous les domaines. Décédée en octobre 2015, elle n'aura pas eu la chance de voir les coéquipières de Ghizlane Chebbak réaliser ce dont elle rêvait et évoquait tout bas dans son cercle restreint… dans le monde exclusivement masculin.
Si aujourd'hui les footballeuses touchent des salaires décents, et les professionnelles à l'étranger répondent favorablement à la convocation de l'équipe nationale, c'est certes grâce aux efforts des dirigeants du football dans ce sens, mais c'est aussi grâce à des femmes militantes comme Samira Zaouli, qui a été la première femme à présider un club de football (TAS) en Afrique et dans le monde arabe (2003).
«Ben Larbi» à jamais la première
«Ben Larbi», ce surnom réservé au sexe masculin qui signifie «fils de» a toujours collé à la peau de Samira, comme un symbole de ce qu’elle représentait au sein des décideurs du football marocain. Une collègue à part entière, qui avait su se faire sa place dans un milieu difficile, un peu «macho», sans aucun complexe et en portant fièrement le nom de son défunt père.
Son entourage est unanime, la fille du légendaire Larbi Zaouli n'avait rien à envier à son paternel. Larbi, légende du football marocain dont le nom est lié au club de Hay Mohammadi, Tihad (TAS), Samira a su reprendre le flambeau avec brio, et avec un grand objectif: l'émancipation des femmes par le sport. Elle y arrivera, mais "un différé", avec un décalage de quelques années, et sans pouvoir être là pour récolter les fruits des graines qu’elle a semé il y a plus de 20 ans.
"Elle aurait été folle de joie de voir un stade plein à craquer pour supporter l’équipe nationale féminine qui se qualifie pour la demi-finale de la CAN et la Coupe du Monde", nous confie Zayneb Amine Zaouli, la fille de Samira. Très émue, elle estime que cette réussite de l’équipe nationale et ce gain de popularité du football féminin est aussi la réussite de sa maman, pionnière "qui a souvent lutté seule, juste pour que les femmes puissent jouer au football dans le respect et dans de bonnes conditions".
Zayneb se souvient qu’en 2001, Samira Zaouli a pu obtenir les autorisations nécessaires pour la tenue d’un premier tournoi national de foot féminin. Un tournoi qui a connu la participation de son club, le TAS, en plus du club de Laâyoune, celui de Fqih Ben Saleh et l’équipe nationale féminine de l’époque. "Il y a quelques années, ma mère rêvait juste de voir des femmes jouer librement (…) certains critiquaient même les shorts, mais elle a tenu le coup et a poursuivi la lutte pour voir enfin un championnat prendre forme sous l’égide de la FRMF alors que le mandat du Général Housni Benslimane allait prendre fin et Ali Fassi Fihri allait lui succéder", ajoute Zeynab, qui est aujourd’hui, à son tour, présidente de la section féminine du TAS pour faire perdurer la tradition.
Fierté et peur de l'oubli
En 2022, le football féminin est sur la bonne voie. Les jeunes des moins de 17 ans sont qualifiées pour la Coupe du Monde, et leur Lionnes aînées aussi. Les clubs vont de mieux en mieux, et les joueuses touchent aujourd’hui des salaires et primes décentes qui peuvent leur permettre de vivre de leur passion. La Ligue nationale de football féminin a vu le jour et fait de son mieux pour structurer le sport le plus populaire du Royaume, et encourager les filles à le pratiquer.
Présidée par Khadija Illa, la Ligue compte aujourd’hui des clubs de tous les coins du pays, des clubs qui jouent les premiers rôles et d’autres qui forment. Les premiers résultats sont encourageants, après seulement quelques années de travail, un club comme l’AS FAR a même pu décroche la 3e place de la Ligue des Champions féminine en 2021, et des sections féminine ont même quelques sponsors.
Mais il y a 20 ans, cette Ligue qui aujourd’hui fait tant de bien n’était ni plus ni moins qu’un fantasme... un mirage. Si elle existe aujourd’hui grâce aux efforts de la FRMF et de son président Fouzi Lekjâa, "rien de tout cela n’aurait été possible sans l’apport de femmes militantes comme Samira Zaouli", estime Touria Aarab, amie de longue date de la défunte qui militait pendant la même époque pour les mêmes objectifs, mais pour un autre sport, le Volley-Ball. "Elle se dressait contre tout le monde, et allait faire pression pour obtenir toutes les autorisations possibles afin que les filles de son quartier puisse pratiquer ce sport (…) cette pression qu’elle a vécue l’a même rendue malade et elle n’a rien lâché jusqu’à son dernier jour", ajoute Touria Aarab d'une voix émue et tremblante.
Samira aurait été fière de voir que les filles pratiquent aujourd’hui le football de manière libre, sans préjugés et que la société commence à se faire à l’idée. Cette CAN organisée au Maroc a permis au foot féminin de gagner respect et popularité au Royaume, et les Lionnes de l’Atlas qui aujourd’hui sont composées de plusieurs MRE et jeunes joueuses formées localement doivent connaître l’histoire de leur discipline au Maroc. Comment elle est passée de l'ombre à la lumière, d'un stade vide à des gradins garnis de 45.000 supporters. Cette histoire passe forcément par le nom de Samira Zaouli, qui malheureusement est le "grand oublié" de cette grande messe du foot féminin qui se tient au Maroc du 2 au 23 juillet.
"Oui, cet oubli m’a fait de la peine. Je n'enlève pas tout le mérite des responsables d'aujourd'hui, mais je n'ai pas envie que le nom des premières militantes tombent dans l'oubli (...) Nous n’avons pas été invités pour l’ouverture, c’est par initiative personnelle que j’ai accompagné les joueuses du TAS pour supporter nos Lionnes le 2 juillet", nous confie Zayneb, qui reste très contente de cet élan de popularité que connaît le football féminin, grâce aux efforts des dirigeants. "C’est quand même un rêve qui se réalise. Aujourd’hui, nous participons régulièrement aux compétitions, et tout se fait dans les règles de l’art (…) on peut dire qu’on récolte les graines semées il y a 20 ans par Samira", a conclu la digne héritière de "Ben Larbi". Samira, qui repose au cimetière Chouhada, est certainement fière de ces jeunes marocaines qui portent haut et fièrement le drapeau national.
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