Politique
Sidi Mohammed Ben Youssef… le Libérateur
18/11/2021 - 14:00
Imane BenichouEn 1934, Sidi Mohammed ben Youssef avait tout juste vingt-cinq ans, "mais que de chemin franchi depuis son intronisation un maussade jour d'automne 1927!", écrit le géopolitologue et islamologue français Charle Saint-Prot dans son livre "Mohammed V ou la monarchie populaire".
"Patiemment et secrètement, sachant dissimuler son empressement, il avait appris, il avait analysé les rapports de force, distingué les chausse-trappes, repéré les mauvais conseillers et les traîtres acquis à la puissance prétendument protectrice. Il avait pris la dimension des problèmes qu'il devrait résoudre", explique Saint-Prot. "Bien qu'il ne pût vraiment compter que sur une poignée d'hommes, le sultan-imam ne doutait pas de son succès tant il était pleinement imprégné de sa mission au service de la nation et du peuple", fait-il savoir.
Le libérateur
Dans son livre, le géopolitologue écrit : "Après l'affaire du « dahir berbère », le Souverain, que les autorités du protectorat avaient longtemps tenté de tenir le plus isolé possible, était bien décidé à aller au contact de son peuple".
Saint-Prot explique que la personnalité du sultan restait complètement ignorée du grand public, puisque toutes les relations qu'il entretenait avec le monde extérieur ne pouvaient exister que par l'intermédiaire d'un fonctionnaire français qui portait le titre de conseiller du gouvernement chérifien. "Dans ces conditions, le sultan voulut mettre un terme au confinement imposé par les autorités du protectorat. Très vite, suivant d'ailleurs son penchant naturel, il avait saisi que son meilleur allié était le peuple".
Sidi Mohammed ben Youssef s'évadait du palais, "le visage dissimulé par la capuche de son burnous", pour parcourir les rues et les souks, "attentif à tout", "avide d'entrer en contact avec les Marocains et de les écouter". Le docteur Dubois-Roqueberti rapporte que "souvent, alors qu'il conduisait sa voiture, il lui arrivait de répondre à l'appel d'un auto-stoppeur, de le faire monter à ses côtés et d'entamer avec le voyageur auquel il avait soin de ne pas révéler son identité, une conversation dont il faisait son profit".
"Jusqu'à 1934, le seul contact entre le sultan et le peuple avait été sa fréquentation, durant sa jeunesse, des enfants de Fès et de Meknès, puis, une fois devenu souverain, ses visites clandestines dans les marchés et la prière solennelle du vendredi à la mosquée du Mechouar. À cette occasion, les habitants de Rabat et Salé se déplaçaient pour l'approcher, le voir et l'applaudir", raconte le géopolitologue.
C’est à Fès que fut le premier grand contact public du souverain avec le peuple marocain, le 8 mai 1934. "Il prit alors la mesure de la ferveur populaire à son égard", commente Saint-Prot, qui raconte qu’une foule considérable l'acclama et désigna son chef tutélaire en lançant le slogan «Yahia el Malek », (Vive le Roi). "Le Roi donc, et non le vieux vocable de sultan, trop chargé de connotations médiévales et coloniales", souligne-t-il. Cette visite fut prestement écourtée par les autorités du protectorat et le Sultan fut ramené à Rabat. "Mais le mouvement était lancé".
Pour atteindre l'objectif de l'indépendance et du renouveau marocain, Feu SM Mohammed V "était convaincu qu'il fallait agir par étapes, fuir toute précipitation et ne pas se laisser entraîner par les appels à une action révolutionnaire exaltée qui conduirait inévitablement à une impitoyable répression, à de dangereux chamboulements et aux pires malheurs". "La priorité consistait à rétablir le pouvoir du sultan face aux féodalités. Il s'agissait d'affermir le trône contre tous ceux qui, pour une raison ou autre, voulaient le confiner dans un rôle secondaire ou l'utiliser à des fins partisanes".
Le chef de la résistance
Après la visite du sultan à Fès, en septembre 1934, un Comité d'action marocaine (Koutla al amal al watani) avait été créé par Allal al Fassi, Ahmed Balafrej, Omar Abdeljalil, Abdelaziz Bendriss, Ahmed Cherkaoui, Mohamed Diouri, Mohammed Ghazi, Boubker Kadiri, Mohamed Lyazidi, Mohamed Mekki Nassiri, Mohammed Hassan Ouazzani. Le comité rédigea un plan de réformes marocaines qui fut soumis, le 1er décembre 1934, à Sidi Mohammed Ben Youssef, à la résidence générale et au gouvernement français.
Les revendications se résumaient principalement à "l’application stricte du traité de Fès et suppression de toute administration directe, l’affirmation de la souveraineté du sultan, l’unité administrative et judiciaire pour tout le Maroc, la participation des Marocains à l'exercice du pouvoir dans les différentes branches de l'administration, la création de municipalités, de conseils de circonscriptions de chambre de commerce ou d'agriculture et d'un conseil national formé de représentants marocains musulmans et juifs". Des propositions qui étaient accueillies favorablement par le Sultan, "elles correspondaient largement à ses vues propres et n'avaient rien d'exorbitant puisqu'il s'agissait très exactement de la stricte application du traité de 1912".
L’indépendance
En 1947, Sidi Mohammed revendique pour la première fois l'indépendance lors du discours de Tanger, où il réclame aussi l’union des Arabes et l’adhésion du Maroc à la Ligue arabe. Les relations se tendirent avec les autorités françaises, qui faisaient pression sur le sultan pour qu’il se démarque des revendications nationalistes. Cependant, le Sultan conclut avec les nationalistes le pacte de Tanger pour lutter pour l’indépendance.
Sidi Mohammed fut arrêté et puis déporté, d’abord en Corse, puis à Madagascar. Cet exil a eu le contraire de l’effet escompté. Il soude les Marocains derrière leur sultan et fédère le mouvement nationaliste derrière Sidi Mohammed. Le 16 novembre 1955, après deux ans d'exil à Madagascar, le sultan Sidi Mohammed ben Youssef connaît un retour triomphal au Maroc. L'indépendance du Royaume est officiellement proclamée le 2 mars 1956. L’Espagne met fin à son occupation le 7 avril 1956.
Le 7 mars 1956, le sultan prononce le discours par lequel le Maroc accède à l'indépendance à la suite de la signature de la convention franco-marocaine qui abroge le traité de Fès (1912), puis, l'accord hispano-marocain du 7 avril 1956 qui met fin au protectorat. "Nous nous réjouissons de pouvoir annoncer la fin du régime de tutelle et du protectorat et l'avènement de la liberté et de l'indépendance", déclara le Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef le 18 novembre 1955 à son retour d'exil en compagnie de la famille royale. "Nous sommes passés de la bataille du petit Jihad à celle du grand Jihad", poursuivit le regretté Souverain. Dans ce discours de l’Indépendance, feu SM Mohammed V a réaffirmé l'engagement de tous les Marocains dans le processus de construction d'un Maroc moderne et libre.
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