Société
Le nouvel an amazigh questionne l'officialisation de la langue amazighe
14/01/2025 - 12:28
Morad Karakhi | Khaoula Benhaddou
Les Marocains célèbrent, ce mardi 14 janvier le Nouvel An amazigh 2975. Cette célébration revêt, pour la deuxième année consécutive, un caractère particulier puisqu’elle est devenue une fête nationale officielle et une journée fériée et payée suite aux Hautes Instructions Royales.
Le 3 mai 2023 restera gravée dans la mémoire des marocains et des défenseurs de la culture Amazighe. En cette journée mémorable, SM le Roi Mohammed VI a décidé d’instaurer le jour de l’An Amazigh, "jour férié national officiel payé à l’instar du premier Moharram de l’année de l’Hégire et du jour de l’an du calendrier grégorien".
Un communiqué du cabinet Royal a précisé que "Sa Majesté le Roi, que Dieu Le glorifie, a donné Ses Hautes Orientations à Monsieur le Chef du gouvernement pour prendre les dispositions nécessaires en vue de mettre en œuvre cette Haute décision Royale".
Et de poursuivre "Cette initiative Royale vient consacrer la Haute sollicitude dont Sa Majesté le Roi, que Dieu Le préserve, ne cesse d’entourer l’Amazighe en tant que composante essentielle de l’identité marocaine authentique riche par la pluralité de ses affluents et patrimoine commun à tous les Marocains sans exception. Elle s’inscrit également dans le cadre de la consécration constitutionnelle de l’Amazighe en tant que langue officielle du pays, aux côtés de la langue arabe".
Suite à cette décision Royale, le gouvernement a approuvé deux projets de décrets dont le premier concerne la modification de la liste des jours fériés pour lesquels les salaires sont payés dans les entreprises industrielles et commerciales, les professions libérales et les exploitations agricoles et forestières. Le second concerne la définition de la liste des jours fériés autorisés dans les administrations publiques, les institutions publiques et les services privilégiés, et l'adoption du 14 janvier comme jour férié payé.
L'article 5 de la Constitution du Royaume stipule que "L'arabe demeure la langue officielle de l'État. L'Etat œuvre à la protection et au développement de la langue arabe, ainsi qu'à la promotion de son utilisation. De même, l'amazighe constitue une langue officielle de l'État, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception. Une loi organique définit le processus de mise en œuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l'enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle".
Où en est l’officialisation?
Selon Amina Bencheikh, conseillère au cabinet du Chef du gouvernement en charge du dossier de l'Amazighe, "La célébration du nouvel an amazigh est l'aboutissement d'un long processus qui a comporté de nombreuses initiatives, notamment son inscription comme langue officielle du Royaume dans la Constitution de 2011, la promulgation de lois réglementaires en 2019, la loi portant création du Conseil national de la langue et de la culture marocaines en 2020, et l'instauration du nouvel an amazigh comme fête nationale officielle".
Contactée par SNRTnews, Amina Bencheikh a expliqué que cette occasion "est une opportunité pour mettre en lumière le chantier de l’officialisation de la langue amazighe, en l'intégrant dans l'éducation et dans les domaines prioritaires de la vie publique".
A cet égard, elle a souligné que des projets prioritaires ont été adoptés depuis 2022 pour mettre en œuvre ce projet, à travers l'inclusion de l'Amazighe dans les administrations, où 464 agents chargés de l'accueil et de l'orientation des personnes amazighophones dans tous les secteurs ministériels, afin de faciliter leur l'accès aux services publics.
La responsable a expliqué que des conseillers téléphoniques ont été mis à disposition dans les centres d'appel des administrations et institutions publiques, en plus d'accompagner et de soutenir les administrations et institutions publiques dans l'adoption de la langue amazighe dans les panneaux installés sur les façades et à l'intérieur des sièges des administrations publiques, des équipements publics, des institutions et des établissements.
La langue amazighe est actuellement utilisée dans les véhicules de transport qui fournissent des services publics, en particulier dans les ambulances appartenant au ministère de la santé et aux autorités locales, dans les voitures et les transports appartenant aux institutions publiques et dans les véhicules de sécurité, a-t-elle déclaré.
Parmi les projets qui font partie de la mise en œuvre de ce projet, il y a l'inclusion de l'amazigh dans la formation du personnel, a-t-elle indiqué, dans le but de renforcer les capacités des ressources humaines travaillant dans les administrations publiques à communiquer en langue amazighe avec les clients, conformément aux programmes de formation spéciaux préparés à cet effet.
Des efforts sont également déployés pour augmenter le nombre de professeurs de langue amazighe et d'écoles où cette langue est enseignée, a-t-elle déclaré, ajoutant que des travaux sont également en cours pour inclure la langue amazighe sur les sites web des différents secteurs gouvernementaux et pour poursuivre la traduction des sessions de la Chambre des représentants et de la Chambre des conseillers en langue amazighe.
Le gouvernement a alloué une enveloppe pour la mise en œuvre de la langue officielle amazighe, répartie sur 200 millions de dirhams en 2022, 300 millions de dirhams en 2023, 300 millions de dirhams en 2024, pour atteindre 1 milliard de dirhams dès 2025.
Attentes
Abdallah Badou, chercheur et militant de la question amazighe, estime que plus de 13 ans après la constitutionnalisation de la langue amazighe, peu de choses ont été réalisées.
Badou a déclaré à SNRTnews que les données sur la généralisation de la langue amazighe dans le secteur de l'éducation, qui est le principal pilier du statut officiel de la langue amazighe, montrent la lenteur de la mise en œuvre de ce projet majeur.
"Le gouvernement mobilise entre 500 et 600 enseignants amazighs chaque année, ce qui nous éloigne des objectifs fixés pour la généralisation de cette langue à l'échelle nationale, qui nécessite plus de 20.000 agents spécialisés, reflétant l'éloignement du plan fixé par le gouvernement actuel dans ce contexte", a-t-il expliqué.
"Le rythme d'introduction de la langue amazighe dans les secteurs gouvernementaux et les administrations reste en deçà des aspirations, malgré l'affectation par le gouvernement de 464 agents chargés de l'accueil et de l'orientation des clients amazighophones à cet effet".
Et d’ajouter: "le gouvernement est tenu d'honorer les engagements stipulés dans la loi réglementaire sur la mise en œuvre du caractère officiel de l’Amazighe et d'adopter les critères et les objectifs de la mise en œuvre de ce projet qui comprend des indicateurs clairs pour évaluer les performances".
Et de conclure: "Il y a un grand flou dans la gestion du dossier amazigh par le gouvernement, étant donné l'absence d'un document officiel qui clarifie les engagements et un programme d'action pour activer les projets liés à la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe, en particulier le fonds spécial pour soutenir la langue amazighe."

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