Economie
En plein Ramadan, la flambée des prix rend la vie dure aux ménages
15/04/2022 - 18:00
Aïcha DebouzaChez les marchands de la "Hrira", soupe marocaine emblématique du mois de Ramadan, les affaires ne sont plus pareilles. "Je ne reçois plus autant de clients qu’avant, car le bol de soupe coûte désormais plus cher, les crêpes marocaines aussi, enfin tout est excessivement plus cher qu’avant", se plaint une marchande à l’ancienne médina de Rabat. Dans la capitale comme ailleurs au Maroc, l’indice des prix à la consommation des produits alimentaires s’est envolé pour atteindre une hausse de 5,5% en février et l’inflation devrait atteindre 4,7% cette année. Et les prix des produits alimentaires semblent poursuivre leur montée en flèche.
Un Ramadan particulièrement cher
Au souk, le mois de Ramadan s’annonce différent cette année. Une fois à la caisse, beaucoup de consommateurs abandonnent deux ou trois articles excédant leur budget. Cela impacte aussi le marchand qui prend plus de temps à liquider sa marchandise. Les prix des tomates, par exemple, varient entre 12 et 14 Dhs/kg, idem pour les autres légumes dont les prix varient entre 5 et 20 Dhs/kg. Pareil pour les fruits, l’huile de table, les pâtes, la farine, la boulangerie, la pâtisserie, les poissons, la viande rouge et la volaille. Cette flambée, constatée depuis plus d’un mois déjà, varie entre 5 et 15 dirhams à l’exception rare de quelques produits, a poussé de nombreux consommateurs marocains à revoir et à modifier en profondeur leurs habitudes alimentaires.
Chaque année, les dépenses alimentaires voient une hausse pendant le mois sacré et les prix sont tirés vers le haut. "Mais cette année, c’est le summum. Les prix des denrées, des fruits, légumes, poissons, viande… tout a doublé ou triplé comparé aux années précédentes. Je ne sais vraiment pas comment je vais m’y prendre", déplore la même source.
Alors que le Maroc connaissait une relative stabilité des prix depuis une vingtaine d'années, il fait face, depuis 2021, à une inflation croissante, sur fond de flambée des cours des matières premières à l'international. Et apparemment, on n’est toujours pas sorti de l’auberge ! De l’avis de beaucoup d’analystes, cette situation, déjà perceptible avant la guerre en Ukraine, devrait s’intensifier dans les semaines à venir, bien au-delà du secteur des carburants.
"De plus en plus de légumes coûtent cher. Tout ce qui nous provenait de la ville d’Agadir est désormais exporté en Europe. Nous pensions que ceci allait s’arrêter aux tomates, mais maintenant ça touche un grand nombre d’autres fruits et légumes. Nous luttons depuis un certain temps contre les exportations, mais nos efforts sont malheureusement vains", explique Abderrazak Chabi, secrétaire général de l’Association du Marché de gros des fruits et légumes de Casablanca (AMGFLC). En effet, bien que le Maroc ne souffre pas de pénurie de produits de base, le pays continuera à enregistrer des augmentations de prix, avait déclaré Mustapha Baitas lors de la conférence de presse hebdomadaire qui a suivi le Conseil du gouvernement du vendredi 8 avril 2022.
Pour le professionnel, les causes de cette augmentation des prix sont diverses. "Les tomates sont vendues de chez l’agriculteur aux marchés d’Europe à environ 1,4 euro soit à peu près 15 dirhams le kilo. Nous ne pouvons pas mettre sur le même pied d’égalité, le pouvoir d’achat d’un Européen et celui d’un Marocain, car les deux n’ont ni me le même SMIC ni le même niveau de vie", relève Abderrazak Chabi. Selon ses dits, le consommateur marocain s’approvisionne uniquement de la récolte des petits agriculteurs, car "les grandes entreprises" ont exporté ou exportent toujours la totalité de leurs produits au marché européen. Et quand ce produit de première nécessité se fait rare sur le marché, le prix grimpe. C'est systématique.
Une autre cause : la concurrence déloyale. "C’est un secteur peu structuré malheureusement. Il n’y a pas de facture ni d’inspection, pas d’affichage de prix ou de tarifs et peu de sanctions prévues par le cadre juridique en vigueur. Ce qui se fait par les opérateurs du secteur n’est pas digne d’une concurrence loyale", s’exprime Abderrazak Chabi. D’après lui, la commercialisation des produits agricoles fait face à deux défis majeurs. Le premier concerne surtout la réponse à la quantité et la qualité des besoins des consommateurs de manière continue dans le temps et "les exportations aux dépens du stock national n’aident pas". Et le second consiste à générer des profits équitables pour tous les intervenants, tout au long de la filière agricole. "Mais ce n’est malheureusement pas ce qui se fait en réalité, car il y a des inégalités dans les dépenses des professionnels au niveau de la chaîne de valeur agricole".
Un circuit de distribution pointé du doigt
En réalité, ces pratiques jugées "anticoncurrentielles" font obstacle, selon le secrétaire général de l’AMGFLC, au fonctionnement concurrentiel du marché. Mais en libéralisant les prix, la libre concurrence se voulait de garantir le libre exercice des activités économiques, visant principalement à protéger les concurrents contre les interventions de l’État et pas le contraire. "Les supermarchés s’approvisionnent directement de chez l’agriculteur et pourtant le prix qu’ils affichent est encore plus élevé que ce que nous trouvons chez le petit détaillant. Mais qui fera l’inspection ? Que risquent ces gens ? Rien du tout", martèle-t-il.
Même son de cloche chez Bouazza Kherrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC). Il explique que grâce au Plan Maroc Vert (PMV), le Royaume a réalisé d’importantes progressions en matière d’amélioration de la production et de la qualité. Mais les exploitants se trouvent toujours impactés par des problématiques majeures au niveau de la commercialisation. La plupart des récoltes sont écoulées au niveau des marchés de gros, au nombre de 39 répartis sur les différentes villes du Royaume.
La faute aux intermédiaires
"Ce circuit de distribution est pointé du doigt à cause de la présence de nombreux intermédiaires, avec des transactions qui génèrent un net décalage entre le prix à la production et celui à la consommation. Le prix chez le détaillant coûte donc trois ou quatre fois plus cher que sur place. En cause, plusieurs types d'intermédiaires qui, par de multiples ventes et reventes, faussent le jeu de l’offre et de la demande", souligne le président de la FMDC.
Parmi ces intermédiaires, on recense ceux qui disposent de leurs propres moyens de transport et qui font la tournée des exploitations agricoles, explique encore le représentant des consommateurs. Ils disposent d’un ancrage dans les régions où ils opèrent, avec leur propre réseau regroupant des rabatteurs et de petits intermédiaires. L’autre catégorie est en général implantée dans les marchés de gros. Ils sont considérés comme les faiseurs du marché, car ils disposent de leurs hangars et autres sites de stockage.
"Certains ont même des chaînes de froid. Cela leur permet d’acheter les produits au moment où ils sont à bas coût, les stockent le temps que les prix augmentent pour les revendre avec une marge bénéficiaire importante. Parfois, ce genre d'opérations crée une rareté de certains produits et génère une flambée des prix", détaille Bouazza Kherrati.
Du point de vue de l’expert, il est "anormale de laisser le pays mourir de faim et exporter les produits sans se soucier du stock national de sécurité". Il explique que l’Association milite depuis 2018 pour avoir au Maroc, une Agence ou un ministère de la consommation qui saura assurer le stock de réserve et qui nous assurera la souveraineté alimentaire. "Tant que nous n’avons pas une institution capable de gérer ceci, personne ne se sentira responsable", martèle le président de la FMDC.
"Ce que je conseille au consommateur, c’est de ne pas acheter les produits qu’il estime être chers. Lorsque le vendeur verra ses clients diminuer à cause des prix inabordables, il sera contraint de les réduire ou de jeter ses produits à la poubelle. Car même sans les intermédiaires qui existent depuis toujours, les détaillants profitent beaucoup de la situation", conclut Bouazza Kherrati.
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