Société
Quels sont les profils les plus demandés par l’Europe et quels impacts pour l’Afrique?
05/11/2024 - 11:51
Aya LankaouiFace à une demande croissante en profils qualifiés, les pays européens attirent de nombreux talents africains, créant une situation complexe pour le développement économique et social du continent. Quels profils l’Europe recherche-t-elle le plus en Afrique, et pourquoi ce besoin croissant? Les détails
Alors que l’Europe fait face à des défis de santé publique et de transition numérique, elle intensifie sa recherche de compétences qualifiées à l’étranger, notamment en Afrique. Cette dynamique migratoire est porteuse de graves conséquences pour les pays africains, qui perdent des professionnels indispensables à leur propre développement.
Professeur à l’Université Mohammed V Agdal, Rabat et coordinateur du Groupe de recherches et d'études sur les migrations, Mohamed Khachani, explique dans une déclaration à SNRTnews que les profils les plus recherchés par les pays européens se concentrent principalement dans deux domaines, à savoir la santé et l’informatique. "Il y a tous types de compétences demandées, mais ce sont surtout les professionnels de la santé, notamment le personnel médical et paramédical, ainsi que les ingénieurs informaticiens qui sont particulièrement recherchés", indique-t-il. Il précise que cette forte demande s’explique par un "déficit énorme" dans ces secteurs, les pays européens étant confrontés au vieillissement de leur population et à une transition numérique accélérée.
Pour M. Khachani, cette "ponction" de talents africains dans le secteur médical est une réponse directe aux besoins croissants en soins de santé des populations européennes, qui nécessitent un personnel qualifié que les pays européens peinent à former en nombre suffisant. Quant aux ingénieurs informaticiens, ils sont devenus essentiels notamment avec l’essor de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies. "Avec le numérique, les Européens veulent combler leur déficit en informaticiens, et cela les pousse à recruter massivement en Afrique", explique-t-il.
Cette pénurie incite les pays européens à "pomper" des compétences qualifiées et moins qualifiées pour combler leurs déficits. Cependant, malgré ce besoin, les politiques migratoires de nombreux pays européens restent très restrictives, limitant l’entrée des profils dits "non qualifiés" ou "moyens" et instaurant des barrières administratives complexes.
L’Europe semble donc osciller entre un discours d’ouverture, destiné à attirer les talents essentiels pour son économie, et des mesures d’exclusion qui freinent l’entrée de migrants de qualification moindre. Selon M. Khachani certains pays européens adoptent paradoxalement des lois restrictives pour limiter l’immigration de ces derniers, créant ainsi une "hypocrisie" dans son approche. Cette contradiction, qualifiée d'"hypocrisie", reflète une réalité où ces pays exploitent les compétences africaines lorsqu’elles servent leurs intérêts économiques, tout en édictant des lois pour limiter l’immigration dans d’autres contextes.
De son côté, docteure en sciences économiques, spécialisée dans les questions migratoires, Zineb Benabdellah a mené une enquête auprès des talents qualifiés Marocains, en particulier des médecins et ingénieurs, qui ont choisi de s’installer en Europe. D’après elle, les raisons qui poussent ces professionnels à quitter leur pays sont multiples, notamment les conditions de travail difficiles, les salaires insuffisants, les perspectives d’évolution limitées, et les procédures administratives souvent décourageantes. "La majorité des talents interrogés évoquent des salaires insatisfaisants et des perspectives de carrière limitées, ce qui les pousse à chercher de meilleures opportunités à l’étranger", souligne-t-elle.
Cette migration de compétences qualifiées a des répercussions graves sur les secteurs clés au Maroc et en Afrique, notamment la santé. "Le secteur de la santé en particulier souffre énormément de cette émigration", explique Mme Benabdellah. Elle déplore que le manque de médecins, aggravé par le départ de nombreux professionnels vers l’Europe, entraîne des délais de prise en charge insuffisants et des difficultés à répondre aux besoins de la population locale. Malgré la mise en place de politiques visant à retenir ces talents, elle constate que celles-ci restent peu adaptées et inefficaces. "L’État n’a pas encore trouvé de solutions viables. Il y a des politiques en place, mais elles ne répondent pas aux besoins spécifiques des secteurs touchés par cette pénurie", regrette-t-elle.
Pour Zineb Benabdellah, une réponse efficace passerait par une révision des politiques salariales et des conditions de travail dans les secteurs en difficulté, afin de retenir les talents au pays. Elle plaide pour une amélioration des perspectives de carrière et des conditions professionnelles au Maroc et en Afrique en général, estimant que le maintien de ces compétences est essentiel pour répondre aux défis de développement que le continent doit relever.
L’attraction des talents africains par l’Europe, bien qu’elle réponde aux besoins immédiats de ses secteurs en difficulté, a un impact profond et délétère pour l’Afrique, qui se retrouve privée de compétences indispensables à son propre développement. Pour ce faire, une transformation des conditions de travail et des perspectives offertes aux talents qualifiés africains est nécessaire, afin de freiner une émigration qui, pour l’instant, ne semble connaître aucun répit.
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