Société
Lien social au Maroc: résultats de la troisième enquête nationale de l’IRES
12/02/2025 - 13:37
Mohammed Fizazi
L’Institut Royal des Études Stratégiques (IRES) a récemment publié les résultats de la troisième édition de son enquête nationale sur le lien social au Maroc.
Réalisée entre décembre 2022 et février 2023, cette étude repose sur un échantillon de 6000 individus âgés de 18 ans et plus, sélectionnés selon une méthode de sondage probabiliste stratifié à quatre degrés, garantissant une représentativité à l’échelle nationale. L’objectif de cette enquête est d’analyser l’évolution des relations sociales dans le pays et de mesurer l’impact des transformations sociétales sur les dynamiques du vivre-ensemble.
Un modèle sociétal stable malgré les mutations en cours
Les résultats de l’enquête révèlent une stabilité relative du modèle sociétal marocain, caractérisé par le primat du lien familial, l’importance des traditions et l’attachement aux symboles identitaires de la nation.
Parallèlement, les tendances observées en 2011 et 2016 se confirment en 2023: un faible intérêt pour la politique et les élections, une forte demande sociale axée sur des préoccupations matérielles et une relation à l’État fondée sur une attente de protection et de prise en charge.
Toutefois, bien que la mondialisation culturelle et la révolution technologique n’aient pas fondamentalement bouleversé les structures sociales, leurs effets commencent à se faire sentir, notamment en milieu urbain, chez les jeunes générations et parmi les individus disposant d’un fort capital culturel ou économique. Ces mutations se traduisent par des changements progressifs dans les comportements et les attentes des citoyens vis-à-vis de leur environnement social et institutionnel.
La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a eu des répercussions significatives sur le lien social au Maroc. D’un côté, elle a permis une redécouverte de la famille comme espace de solidarité et de réconfort, renforçant le sentiment d’appartenance et la cohésion nationale. Le rôle des institutions et des autorités publiques a également été réévalué, avec un regain de confiance observé chez une partie de la population.
D’un autre côté, le confinement et les restrictions sanitaires ont engendré des tensions au sein des foyers, exacerbant certains phénomènes sociaux préoccupants. La hausse des violences conjugales et intrafamiliales, l’augmentation du nombre de divorces et l’impact négatif sur la santé mentale ont contribué à un certain relâchement du lien social. D’après l’enquête, 54 % des Marocains estiment que la pandémie a été l’une des principales causes de l’augmentation des divorces dans le pays.
Évolution des principaux liens sociaux: entre continuité et changements
L’enquête s’intéresse à plusieurs formes de liens sociaux, notamment familiaux, amicaux, de voisinage, professionnels et politiques.
Le lien familial reste le plus solide, constituant le socle principal du tissu social marocain. Au-delà de son rôle affectif et éducatif, la famille est perçue comme un refuge matériel, jouant un rôle central dans la solidarité intergénérationnelle et le soutien économique.
Le lien d’amitié connaît une transformation notable. Alors qu’en 2011 et 2016, 88% des Marocains considéraient que leurs meilleurs amis faisaient partie de leur famille, cette proportion est tombée à 57% en 2023. Cette évolution reflète une diversification des cercles sociaux, avec une place croissante accordée aux camarades d’études, aux collègues de travail et aux relations établies via les réseaux sociaux.
Le lien de voisinage poursuit sa mutation vers un modèle plus individualiste. Si le voisinage traditionnel, basé sur les échanges de services et la convivialité, était encore majoritaire il y a une décennie, une nette préférence pour un voisinage plus distant s’affirme aujourd’hui. En 2023, 44,8% des Marocains privilégient un mode de voisinage où chacun reste chez soi et où les interactions sont limitées au strict nécessaire.
Le lien professionnel, bien que toujours solide, montre une légère érosion. En 2016, 88% des Marocains jugeaient leurs relations de travail "bonnes" ou "excellentes", contre 76% en 2023. Cette baisse, bien que modérée, peut être liée aux transformations du monde du travail, à l’individualisation croissante des carrières et aux nouvelles formes d’organisation professionnelle.
Enfin, le lien politique demeure le plus fragile. L’engagement citoyen reste faible, et la confiance envers les institutions publiques peine à s’améliorer. La participation aux élections et l’intérêt pour la politique restent limités, traduisant une certaine désillusion vis-à-vis du système politique et de sa capacité à répondre aux attentes des citoyens.

La condition de la femme: entre avancées et résistances
L’enquête met en lumière les défis persistants en matière de condition féminine. La violence contre les femmes est perçue comme un phénomène essentiellement lié à des facteurs culturels et éducatifs: 39% des Marocains l’attribuent à l’éducation du conjoint et 36% à l’environnement familial et culturel, tandis que seuls 10% évoquent des considérations matérielles.
En ce qui concerne la participation politique des femmes, plusieurs obstacles sont identifiés. La culture traditionnelle (33%), le fonctionnement des partis politiques (20%), le manque d’attractivité des formations politiques pour les femmes (25%) et le harcèlement ou les critiques de genre (21%) constituent autant de freins à une représentation équitable des femmes dans les institutions.
Par ailleurs, une majorité de Marocains (73%) estime qu’il est nécessaire d’adopter de nouvelles mesures pour améliorer la condition des femmes. La réforme du Code de la famille est au cœur des attentes, avec des priorités telles que le partage des biens acquis pendant le mariage (32 %), l’équité dans les procédures de divorce (20%) et la révision des règles de tutelle des enfants (13%).
Les Marocains du monde: un lien toujours fort avec le pays d’origine
Avec 53% des Marocains ayant des membres de leur famille vivant à l’étranger, la question du lien entre les Marocains du monde et leur pays d’origine reste centrale. L’enquête révèle que ces relations demeurent solides: 74% des personnes interrogées sont en contact avec leurs proches expatriés au moins une fois par mois.
La qualité des relations transnationales est également jugée positive, 77% des Marocains estimant qu’elles sont "bonnes" ou "excellentes". De plus, l’attachement des Marocains de l’étranger à leur pays d’origine est évalué à 8/10 en moyenne, illustrant un lien fort qui persiste malgré la distance.
Ainsi, si la famille demeure le pilier central du vivre-ensemble, les nouvelles dynamiques sociales, économiques et technologiques influencent les relations interpersonnelles et institutionnelles, selon l'enquête de l'IRES. La société marocaine reste attachée à ses valeurs traditionnelles, elle est confrontée à des défis d’adaptation à un monde en mutation. Ces résultats offrent des clés de compréhension pour les décideurs et les acteurs sociaux en vue d’élaborer des politiques publiques adaptées aux nouvelles réalités du pays.

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