Le jeu de l'oubli

L’ingéniosité du film réside dans le fait que toutes les clés de sa compréhension se déroulent "Hors Champs". Ceci soit via “Off-screen sound”, c'est-à-dire un son entendu par le public mais ne provenant pas d'une source visible dans le cadre, via “Off-screen action”, c'est-à-dire un événement se produisant en dehors du champ de vision de la caméra mais affectant l'histoire ou les personnages.

Glazer propose ainsi une vision unique et passionnante de la vie dans les camps de concentration nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, en se concentrant sur la vie du commandant d'un camp de concentration et de son épouse, qui ont créé, pour eux et leurs enfants, un petit paradis en marge du camp, appelé par l'administration nazie The Zone of Interest, composé d'un jardin verdoyant, de fleurs éclatantes et d'une piscine... Un petit paradis en bordure de l'enfer.

Le film et le roman cherchent tous deux à mettre en lumière le contraste saisissant entre la vie quotidienne très ordinaire de ces tueurs et l'ampleur des atrocités qu'ils commettent quotidiennement et automatiquement.

Le film a reçu le Prix du Jury au Festival de Cannes et a été largement salué par les critiques pour son approche audacieuse et innovante d'un sujet sensible et complexe. Les performances puissantes des acteurs, ainsi que la réalisation exceptionnelle, ont fait de ce film l'un des drames les plus importants traitant de ce sujet délicat. Certains l'ont même qualifié de film du XXIe siècle.

En abordant la tragédie de l'Holocauste sous un angle différent, le film nous pousse à nous interroger sur la façon dont des personnes ordinaires, menant une vie normale avec leurs enfants et leurs animaux de compagnie, peuvent commettre des atrocités inimaginables pour un esprit sain. Des atrocités que l'on ne voit pas mais que l'on ressent et comprend à travers des éléments comme la chaussure militaire que le domestique lave et dont l'eau devient rouge de sang, le bruit constant des fours d'Auschwitz tout au long du film, les cendres des corps brûlés utilisées comme engrais pour les roses éclatantes, la fumée qui s'élève au loin, et l'odeur de la mort omniprésente.

En fin de compte, le film ne traite pas seulement de l'Holocauste, mais tente de mettre en lumière le côté sombre de la nature humaine et toutes les atrocités commises par l'homme contre son semblable, l'ennemi de la différence, l'oppresseur des migrants, et celui qui fait de la haine un programme électoral... C'est une invitation à réfléchir et à se demander: où réside ce monstre en l'homme? Comment l'homme devient-il insensible à la souffrance des autres? Comment prévenir de telles atrocités à l'avenir ?

En France, l'extrême droite a remporté les élections européennes le 9 juin 2024, avec une victoire écrasante et des chiffres historiques. C'est un parti extrémiste, dont les liens avec les néonazis sont évidents, et dont le programme électoral repose sur l'hostilité envers les étrangers et la haine des migrants. L'Europe a-t-elle oublié que la haine est la porte des grandes atrocités? A-t-elle oublié qu'Hitler est arrivé au pouvoir en Allemagne par des moyens démocratiques et que son slogan était "du pain et du travail pour les Allemands"?

Près d'un siècle plus tard, la haine revient en Europe par le biais des urnes. Le pays des Lumières et des Droits de l'Homme a oublié la leçon. L'histoire va-t-elle se répéter? Est-ce une nature humaine qui échappe à l'histoire et à la géographie? Est-ce une renaissance de ''La zone d'intérêt"?